Belgica est venue me consulter, afin que j’interroge ma boule de cristal.

Votre boule est ronde comme la planète, voire comme l’univers, me dit-elle d’emblée. Or, j’ai besoin d’un regard à la fois circulaire et intérieur. Cette intériorité, la transparence du cristal doit la révéler. Jusqu’au noyau. Je ne dis pas : jusqu’à l’os, je n’en suis pas encore là !

Elle débordait en effet de couleurs et de mots baroques. Lire la suite


Maintenant que le soir tombe, que les affaires se calment, je peux reprendre mon récit là où je l’ai laissé hier. Voilà des jours que je ne suis rentré chez moi, que j’abandonne mes intérêts au profit de cette avalanche de notes, de mémos et de mémoires sans fin.

Voilà des mois que je griffonne, tapote, téléphone, envoie des mails, rappelle mes correspondants, leur soulignant tel ou tel point de la loi. Des mois qu’ils me répondent que la loi n’est pas une, mais territoriale, que le droit est une affaire de mœurs, une coutume annoncée et qu’il faut alors le respecter comme une divine bavure du sacré sur les hommes.

Je suis peintre, aquarelliste, je passe mon temps à guetter la lumière et à la saisir dans l’eau perlant de mon pinceau mouillé d’un peu de couleur. Je lisse le temps dans des lavis et je me protège des intempéries et des coups de vent fréquents dans la région en me coiffant d’un chapeau de pêcheur un peu ridicule mais qui me donnait l’air de quelqu’un qui va couper ses rosiers un dimanche. Je passe dans la vie en laissant derrière moi les vagues traces de ce que j’ai émondé. Mais je ne vois rien dans mon horizon qui m’empêcherait ou m’ordonnerait d’avancer. La vie est calme, un peu bête, c’est vrai mais suffisante. Lire la suite


Je vous dois d’emblée une explication. Pour reprendre une expression qui vous est chère, à vous les humains, personne n’a intérêt à porter un masque pour le sujet qui nous préoccupe, vous autant que nous. Trop de lois du silence, d’agendas cachés, de réunions en des lieux tenus secrets, de forces occultes ont fini par rendre la situation illisible. Oui, illisible. Autant jouer cartes sur table. Moi le premier. Celui qui écrit n’est pas celui que vous croyez. Nous, les anges, pour nous manifester à vous les humains, devons coloniser les esprits les plus réceptifs. Les mystiques, les artistes, les enfants, les contemplatifs, les rêveurs, nocturnes ou diurnes, se prêtent volontiers à nos manifestations angéliques. Et, plus que tout autre, sans que nous puissions en donner d’explications rationnelles, les peintres et les sculpteurs. Des êtres ouverts d’esprit, perméables aux réalités qui échappent aux codes connus, dont le cartésianisme n’est pas devenu un carcan, pour lesquels la gentillesse n’est pas une plaie, et surtout dont l’ego reste perméable aux autres formes de vie que la leur. Autant vous le dire, cela devient des perles rares en ces temps d’égoïsmes. J’ajouterai que les hommes d’Église nous ont souvent fait jouer un rôle dont nous nous serions volontiers passés : ils n’ont pas toujours contribué à donner de nous l’image la plus crédible qui soit. Ils nous ont manipulés comme des marionnettes et parasité notre présence au monde. Lire la suite


— Goedemorgen, Meneer. Ticket alstublieft. Dank u.

Wim passa au rang suivant. Une femme seule lisait un quotidien francophone. Français, évidemment. Il ne pouvait plus être que français.

— Goedemorgen, Mevrouw. Ticket alstublieft.

— Excusez-moi. Vous parlez français ? Je viens de Caen, vous savez, jugea-t-elle utile de préciser. Lire la suite


Le jour décline, la température tombe, le vent se lève, léger et doux. La ville s’abreuve aux derniers rayons du soleil, expose tant bien que mal aux passants pressés et indifférents les quelques éclats qui lui restent encore.

Depuis sa fenêtre, Henri observe le ballet des corps.

Les gens ont l’air déprimés. Il semble bien que ça ne soit pas la joie dans les méninges, que les remous politiques actuels jouent sur l’humeur des uns des autres, créent une ambiance particulièrement délétère, favorisant l’installation d’une neurasthénie généralisée.

Mais pour Henri, ça n’a plus aucune importance.

Plus aucune. Lire la suite


Je n’avais jamais vu mon père pleurer.

Rire oui. Avoir des fous rires aussi. Qu’il ne pouvait pas contenir. Il était tellement secoué qu’il devait se tenir les côtes. Ça fait mal ! s’esclaffait-il par hoquets. Je l’avais vu se mettre en colère aussi. Dans ces cas-là, il valait mieux se mettre à l’abri et attendre que l’orage passe.

Il n’avait même pas pleuré quand maman est morte. En tout cas, pas devant moi, ni devant personne d’ailleurs. Je garde le souvenir de ce qu’il m’avait dit alors, comme s’il voulait que je comprenne pourquoi il ne manifestait pas de chagrin, comme s’il avait peur que je pense qu’il n’aimait pas maman. Il s’est agenouillé pour que son visage soit à hauteur du mien, que ses yeux soient bien près des miens. Tu sais, Idesbald, elle avait tellement mal que le Bon Dieu a eu pitié d’elle et est venu fermer ses yeux. Lire la suite


— Mon cher Usbek, vous m’avez jadis expliqué clairement la situation politique et linguistique en Perse. Dites-moi si je résume bien : pour régler un conflit entre deux langues adverses, les Persans ont créé les institutions les plus démocratiques du monde, parce que les plus compliquées. Vous avez donc une république fédérale présidée par un monarque et gérée par cinq gouvernements ?

— Certains prétendent qu’il y a quatre gouvernements en Perse, d’autres disent qu’il y en a six. Cinq est donc un chiffre moyen acceptable.

— Cela ne vous gêne donc point de ne pas savoir exactement combien il y a chez vous de gouvernements ? Lire la suite


Hip hip hourra !

Hip hip hip

For Belgica !

Cher pays de

Mon enfance

Bercé de

Tendre insouciance

Tou m’as toué je crois

Ouais j’crois qu’tou m’as

Troué le cœur…

Black Belgicanos, Wasted Land

Même à présent que l’hystérie collective mettait Belgica à feu et à sang, Willy Darc ne saisissait pas bien comment la situation avait pu se dégrader à ce point. D’autant que ce qu’on avait vaguement baptisé « la crise » stagnait depuis tant de mois ! Et que lui, s’intéressant si peu à la res publica d’ici ou d’ailleurs, absorbé comme il l’était par ses psychodrames intimes et sa révolte musicale d’éternel adolescent, s’était en quelque sorte habitué à la pérennité des querelles belgico-belgicaines. Lire la suite


L’histoire remonte à l’époque où, tu t’en souviens sans doute, une bande d’illuminés avait érigé un mur sur le rond-point Schuman, juste devant le siège de la Commission européenne. Un mur sur le modèle exact du mur des lamentations. Même disposition, même dimension, fabriqué avec les mêmes pierres importées spécialement d’Israël.

Profitant d’une nuit de pluie glacée, ils avaient travaillé sans que personne ne remarque leur manège. Avec l’aide très efficace de quelques maçons polonais (catholiques), comme l’enquête l’a montré plus tard. Lire la suite


C’était la douane, la douane pour les lapins blancs et les lapins noirs. Les lapins noirs avaient, pour l’instant, un gros cou. Ils avaient, les uns et les autres, depuis longtemps déjà, les mêmes pâtures et les mêmes envies. Si les noirs étaient devenus les plus nombreux, ayant trouvé des carottes plus énergétiques, nulle entrave aux amours, aux liaisons, même aux ébats les plus libres.

Le Sud séduit, le Nord surprend, mordillant les oreilles. Lisbeth et Balkamin faisaient chacun la file, presque côte à côte. Ils s’échappèrent dans un bosquet. « Sniff, sniff », dit-elle. « Tchouk, tchouk », répondit-il. La lapinade est un bon moyen de s’en tirer et l’on sait que les lapins sont vifs. Vite fait, bien fait, et Liserin naquit. Lire la suite