Toi, jeune homme, ne désespère point ;

car, tu as un ami dans le vampire, malgré ton opinion contraire.

En comptant l’acarus sarcopte qui produit la gale, tu auras deux amis !

Lautréamont

Quand l’anniversaire du Titanic rappelle que l’on peut sombrer par temps calme, une île de l’Atlantique où dorment les tempêtes affirme sa quiétude au milieu des cyclones. En cette nécropole aux toitures de méduses glissant sur d’abyssales colonnades ornées d’une mosaïque de papillons marins, dérivent des temples d’algues aux vitraux baignés de lueurs englouties. L’espace ni le temps n’y furent dépouillés de leurs magies ; pas davantage l’ordre cosmique n’y a perdu sa pulsation rythmique. Les perles d’un jardin tropical, sous les récifs, prodiguent leur apostolat. Jamais aucune bible ne prêcha d’un quelconque Yahvé la colère en cet Éden autour duquel une planète entière offre l’image d’un naufragé tourmenté par la soif, quand des masses d’eau préparent le déluge. Que serait un nomade céleste s’il n’était pèlerin de l’abîme ?

Ses pas tracent un chemin dans les mers et dans les airs pour les habitants de la Terre. Lire la suite


Celui qui prendrait ce que j’écris pour la vérité,

serait peut-être moins dans l’erreur que celui qui le prendrait pour une fable.

Denis Diderot

Où et quand parle Shéhérazade ?

Quand bien même il s’écoulerait encore dix siècles avant que les Parisiens ne découvrent pourquoi les gargouilles de Notre-Dame leur tirent la langue depuis près d’un millénaire, les raisons leur en ont été révélées, le matin du 22 juin 2012, avec une actualité scandaleuse.

Au-delà de la démesure : matins nègres de Paris Lire la suite


Cela faisait au moins dix ans que Jeanne n’avait pas vu un billet de cinquante euros. Elle sourit en se demandant contre quoi elle pourrait l’échanger ! Le vent qui séchait ses vêtements usés lavés à la rivière ? Le lopin de terre qu’elle cultivait pour se nourrir ? La caverne où elle dormait et se réfugiait quand la nature se déchaînait ?

Elle remit le billet dans le vieux carton rempli d’extraits de banque caducs, d’actes notariaux, de liasses d’euros et remit celui-ci dans sa cachette sous le plancher poussiéreux. Lire la suite


Quand je suis parti, ma femme tirait la gueule, ma fille pleurait, elle refusait d’aller dormir. Le chat venait tout juste de vomir à côté de sa gamelle. Le lave-vaisselle était en panne. Une pluie battante menaçait de faire s’effondrer une fois de plus la gouttière de la cour. Ma réparation de fortune n’avait eu, évidemment, aucun effet. Je me demandais si vraiment tout cela ne s’apparentait pas à un gigantesque malentendu. Étais-je bien la bonne personne au bon endroit ? Ne pas se laisser submerger. Toujours pareil. Acter que. Mais bon. Impossible de faire mieux. Comme souvent. Je prévois quelque chose et ça merde.

Réfléchir, agir. Ou pas.

S’immobiliser. Y aller.

Option 1 : angoisser et culpabiliser.

Option 2 : faire marche arrière.

Option 3 : m’en foutre, continuer.

Je me suis donc rendu à cette réunion. Lire la suite


— Chérie, t’as fait quoi avec le home banking ?

— Qu’est-ce que tu dis, mon poulet ?

— T’as fait quoi avec le home banking ? Ça déconne !

— Qu’est-ce qui déconne ?

— Mon compte courant est passé en dollars. Lire la suite


Il doit donner ses affaires personnelles. Il est pieds nus. Il est d’ailleurs gêné que les autres voient l’état de ses pieds. Ici, pas de temps pour les états d’âme, il doit passer à la fouille physique, après le détecteur. « Écartez plus ! », lui lance le vigile qui palpe sa cuisse. Edmond-Jean essaie l’humour pour établir un contact. Sans succès. L’inspection n’a rien donné. Il est donc autorisé à remettre ses chaussures et à boucler sa ceinture. Il est embarrassé d’attacher la ceinture de son pantalon au milieu de tant d’yeux. D’habitude, il réserve ces gestes à lui-même ou à la femme à qui il vient de rendre un charnel hommage. Une légère nervosité l’oblige à s’y reprendre à deux fois. Il se sent rougir. Il rejoint les autres qui marchent en file pour attendre plus loin alignés en rangs. Ils sont des dizaines. Les lumières crues les rendent blafards. Tout le monde obéit aux gardes sans se poser de question. Edmond-Jean appréhende un peu le transport. Mais, il se plie à ce qui lui est demandé. Il est obéissant. Cela lui paraît même normal. C’est une question de sécurité. Lire la suite


A.M. gewidmet

Un matin, à son lever, il découvrit que son champ de radis était vide. Tous ses radis avaient disparu, son terrain était complètement dénudé et ressemblait à un immense terre-plein chauve, dépourvu du moindre moignon de végétation. Il n’en crut pas ses yeux mais, après les avoir frottés et refrottés à plusieurs reprises, il dut se rendre à l’évidence : il n’avait plus un radis.

La panique s’empara de lui. Il était radivore exclusif, et l’idée d’être privé de sa nourriture de prédilection lui faisait horreur. Déjà il avait dû supprimer, il y a quelque temps, le beurre qui accompagnait d’habitude son aliment préféré, toutes les vaches dans son entourage ayant été massacrées, au nom du principe de précaution, à cause de la menace de l’ESB. Quant à importer le beurre de contrées lointaines, cela aurait coûté trop cher en radis. Lire la suite


— C’est que notre vieux monde se démonde, Monsieur le philosophe…

— Encore une chopine de vin nouveau, Rameau ?

— Non merci, j’ai bu beaucoup déjà. C’est bientôt l’heure du grand dérèglement des comptes, le grand chamboulement approche…

— Il te monte à la tête, ce pot de beaujolais ? Tu veux autre chose ? Une partie d’échecs, peut-être ? Lire la suite


La voisine a ses règles. Le jeu de Monopoly aussi. Le Code de la route impose les mêmes règles à toutes et tous. En 1628, René Descartes, préoccupé de la direction de notre esprit, a rédigé pour celui-ci des Règles. Il existe la Règle d’or, et la règle de calcul. L’écolier souligne en utilisant une règle. Les moines bénédictins observent la règle de saint Benoît. Mais observer n’est pas tout : ils appliquent la règle qu’ils observent. Toute assemblée a son R.O.I. : son Règlement d’Ordre Intérieur. La voisine est par ailleurs réglée comme du papier à musique. Régler la note. Régler son compte. Messieurs ! Réglons nos montres. Yes, Sir ! Tout est réglo. Régulé. Réglé. Tout dans le monde, depuis les planètes qui se meuvent, jusqu’aux étoiles qui fixement nous pointent de leurs milliards d’yeux, tout est naturellement réglé. Lire la suite


Dimitri restait connecté en permanence.

Connecté à quoi, à qui ? Au monde, avait-il coutume de penser. À ses amis. Les vrais, de plus en plus rares, et tous les autres, ceux des réseaux sociaux qu’il fréquentait. Il sentait dans sa poche le poids et la douce chaleur de son smartphone dernière génération, contre sa cuisse, et ça le rassurait. À tout moment, quelqu’un pouvait l’appeler, lui laisser un message écrit ou vocal, lui communiquer des images, des photos, des vidéos, des documents. Même seul, il n’était jamais seul. Lire la suite