On peut difficilement se débarrasser en quelques semaines de trente à quarante années de foi intime dans le monde.
Stefan Zweig, Le monde d’hier, Souvenirs d’un Européen
Quand il inscrivit son pays sur la carte, Devers n’avait pas cherché à se rattacher à une localisation précise. Il avait adapté légèrement des frontières existantes, sans vouloir inventer de toutes pièces un territoire nouveau pour son utopie, ni faire ressurgir des flots une Atlantide engloutie ou investir une île réputée vierge au milieu des océans. Non qu’il voulût s’écarter des bases de ce genre littéraire, ou qu’il aurait tenu pour rien ces tentatives de créer, à partir d’une construction certes imaginaire mais fignolée dans tous ses détails avec la rigueur d’un raisonnement, un système idéal qu’il suffisait de transposer dans la réalité pour que l’espèce humaine trouve enfin la félicité et l’harmonie. Au contraire, il en avait lu beaucoup, et en avait retiré de précieux enseignements. En même temps, à cette époque de sa vie, il voulait se libérer du poids des traditions et des codes, fussent-ils littéraires, et tout appréhender avec des yeux dessillés et une autre tournure d’esprit : comme s’il ne voulait plus se retourner vers les orages qui grondaient derrière lui, et que, tandis qu’il marchait en avant, ceux-ci ne l’avaient plus jamais rejoint. Lire la suite →