Si toutes les mères coupent l’index droit de leur fils, les armées de l’univers se feront la guerre sans index… Et si elles lui coupent la jambe droite, les armées seront unijambistes… Et si elles lui crèvent les yeux, les armées seront aveugles, mais il y aura des armées, et dans la mêlée elles se chercheront le défaut de l’aine, ou la gorge, à tâtons…
La guerre de Troie n’aura pas lieu, Jean Giraudoux
J’ai revu Gerhard comme au tout premier jour et ce sentiment qui n’existe pas en français m’a retrouvée. Sehnsucht. Une sérénité pesante, une douleur sourde à l’arrière-goût plaisant. Cette nostalgie sans nom au parfum d’éternité gagnait à nouveau les fibres de mon âme. Le visage angélique de Gerhard baigné de l’humble soleil des Marolles réfléchissait celui de mon bébé au temps de la Heinrich-Heine-Gasse. Alors, Frau Helga l’avait emmailloté, maintenant il portait son épaisse chemise de pionnier. Quelle différence ? Dix-neuf ans de bonheur, de projets, d’espoir, de déceptions, d’angoisse, de larmes, de violence et de cruauté, d’amour, d’exil, d’exaltation et de résignation. Le souvenir de la romance en do majeur de Joseph Joachim s’étirait ici juste comme là-bas. Il animait les ombres de la chambre de la même langueur. Dors, mon enfant, Schlaf, mein liebes Kind. Laisse la vanité de ce monde et sa clameur immonde. Dors paisiblement. Lire la suite →