Madame Verbist, l’autre jour, m’a montré son or. Oui, dans sa commode, entre ses bas et ses gaines, Madame Verbist a des pièces d’or, emballées dans de petits papiers de soie. Et aussi dans sa salle de bains, à l’intérieur d’une boîte vide d’aspirines, encore des pièces d’or.

— Des fois, Madame Stoefs, qu’il m’arriverait quelque chose, elle a dit, j’aime mieux qu’une personne honnête comme vous, une personne foncièrement honnête et désintéressée, sache où ça se trouve. Personne d’autre que vous, Madame Stoefs, car je sais que vous êtes communiste et que vous ne me prendrez rien. Lire la suite


Quel est celui qu’on prend pour moi ?

Aragon

 

Marx fut le totem et le tabou du XXe siècle. Supposons que, pour lui rendre hommage, en son honneur s’ouvre un coin d’espace public. J’entends s’égrener d’ici le chapelet de clichés : l’inventeur du Goulag a dominé le ciel des idées jusqu’au salutaire décret de sa mort, mais le cadavre se rebiffe et bouge encore… Lire la suite


Quelques nuages lenticulaires stagnent au-dessus des monts Wasatch. Dans la vallée, on attend jusqu’à 30 degrés. Friedrich vient d’arriver. Au programme : la demi-finale entre les Utah Jazz et les Rockets de Houston. J’ai mis des bières au frais. Il reste à espérer que Jenny ne rentre pas avant la fin de la retransmission du match de basket. Cet après–midi, comme tous les dimanches, on est censés faire avancer notre projet, coucher nos réflexions sur le papier. La tâche est énorme, trop peut-être. Quelle idée stupide, ce manifeste ! C’est pour ça qu’on s’autorise parfois un pas de côté, un peu de sport à la télé pour se vider la tête, de la bière pour prendre de la distance avec le quotidien. Lire la suite


Sous le familier, découvrez l’insolite,
Sous le quotidien, décelez l’inexplicable.
[…] Dans la règle, découvrez l’abus
Et partout où l’abus s’est montré,
Trouvez le remède

Bertolt Brecht, L’Exception et la règle (1930)

 

Odile marche d’un pas vif. Mais elle l’a vu, enfin pas la personne, tout d’abord un grand sac de couchage d’un bleu roi pimpant, une ligne horizontale sous le très haut porche du grand building de la compagnie d’assurances. Près de la station de métro « Botanique ». Odile continue sa course, mais aperçoit que dans le sac étincelant, il y a un homme noir. Elle ne voit que cela, deux yeux qui dépassent du sac, deux billes lancées vers le ciel. Le ciel, très bleu lui aussi. Il est dix-huit heures, trop tôt pour aller dormir, et le cours va commencer. Lire la suite


En mars 1848, Karl Marx fut convoqué au commissariat de police le plus proche de la rue d’Orléans à Ixelles (aujourd’hui rue Jean d’Ardenne) où il habitait. Le brave fonctionnaire de commissaire qui le reçut ne le fit guère poireauter plus de temps qu’il n’était nécessaire pour bien montrer qu’il était le maître, après Dieu et le Roi, dans ce lieu.

Le commissaire vint lui-même à la rencontre de Marx, assis calmement dans la salle d’attente, sur laquelle veillait une lithographie représentant le roi Léopold, premier du nom dans son petit royaume.

— Entrez, Monsieur Marx. Sprechen Sie Französich? Lire la suite


Et maintenant, à moi patriotes ! Aidez-moi à renverser de leurs socles insolents, ces hommes qui ont converti votre sang en or, et qui polluent de leurs noms exécrés l’écusson national !

Victor Joly, Biographie des hommes de la révolution (1833).

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Charles. Bien sûr que je signe Charles, parfois. Quand j’écris en français, je signe Charles Marx. S’il faut préciser un titre, je mets parfois : docteur en philosophie. Ça fait très allemand, tout de même. D’ailleurs, je préfère : homme de lettres.

Très important de se débourgeoiser, de s’appauvrir, d’avoir faim. C’est comme brûler ses vaisseaux. Ça nous pousse à l’action. L’action, l’agitation, sans cesse et partout. J’ai hérité de six mille francs de mon père via ma mère. L’argent arrive à Bruxelles demain et je sais à quoi il va servir. Surtout pas à notre confort. Le bonheur chez moi m’empêcherait d’aller le chercher ailleurs. Ça débanderait l’arc. Et que dirait Mme Marx !

Elle serait contente d’un peu de velours sur les fauteuils, d’un peu de beurre dans les épinards ? Possible. Jenny ? Jenny, tu en penses quoi ? Elle ne vous répondra pas. Vous êtes trop petit-bourgeois. Et puis vous me faites perdre mon temps. Lire la suite


« Oui, je sais, on ne va pas se raconter d’histoires, cela pourrait être le prélude à de sérieux ennuis », dit Marx en embrassant Jenny sur le seuil de la maison. Cet homme va sans doute me mettre en garde, me conseiller de me tenir tranquille… Mais je ne vais pas me dérober, ma réputation est faite : et peut-être cette rencontre me permettra-t-elle de sonder leurs intentions, ce qui n’est pas à négliger. Je devrai jouer serré, mais je me dis que cela pourrait en valoir la peine.

— Je ne te vois pas te contenter d’écouter son discours sans réagir, dit-elle, je ne puis donc pas te demander de me promettre de rester calme… De toute façon, je me suis renseignée, ce n’est qu’un subalterne, ce n’est pas comme si tu allais rencontrer le chef de la Police en personne… Lire la suite


En cinquième position sur le disque d’or de la sonde Voyager, établi par Carl Sagan et son équipe de chercheurs en intelligence extraterrestre, on trouve Johnny B. Goode de Chuck Berry. C’est un hit à faire swinger les spins des atomes d’hydrogène qui constituent la masse des nuages de gaz interstellaires que la sonde est en train de traverser. Peut-être en ce moment même.

 

Les mathématiques peuvent être définies comme une science dans laquelle on ne sait jamais de quoi on parle, ni si ce qu’on dit est vrai.

Bertrand Russell (1872-1970) 

Il arrive aussi que le signal soit brouillé. Lire la suite


Si un anneau était attaché au ciel et un autre à la terre, j’en saisirais un de la main droite, un de la main gauche, et je relierais la terre au ciel.

Sviatogor (héros de légende épique russe)

De quelle histoire est-on le personnage à peine consentant ? Qui en conçoit la trame et en écrit le scénario ? Qui décide les dialogues, plus ou moins conflictuels ou consensuels ? Qui régit la dramaturgie ? Qui invente la mise en scène ? Quels comédiens jouent quels rôles, sous quels oripeaux ? Qui modifie les décors et les éclairages ? Pour quel public, dans quelles intentions ?… J’ai traversé le salon pour me diriger vers la baie vitrée donnant sur un jardin gardé par des hommes à oreillettes en tenues de combat. Juste avant de l’ouvrir, afin de respirer l’air frais, ma poitrine s’est libérée d’une interrogation : quel intérêt les Russes auraient-ils à saloper leur image internationale, après avoir déployé tant d’efforts pour faire briller chez eux la vitrine d’une compétition mondiale de football ?… Lire la suite


Nous sommes cependant sans haine contre vous.

Albert Camus, Lettres à un ami allemand

J’écris dans le train. Le balancement de la voiture, c’est comme autrefois la marche de la mère ; la pulsation des roues sur les rails, c’est comme autrefois le battement d’un cœur tout proche, tout contre le mien.

J’écris dans le train. La durée d’un trajet en Europe m’impose un temps d’écriture, comme lors des examens à l’univ. : « On relève les feuilles à 13 heures ! » Dans le grand auditoire, nous avons soin de laisser une place libre à gauche, une place libre à droite. Silence. Prise de connaissance du thème imposé : « En avant, Marx ! » Un regard circulaire. Visages atterrés. Sourires radieux. Plumes saisies. Montres consultées. « En avant ! » Lire la suite