Je parlerai du critique.

Alors que l’on devrait admettre, une fois pour toutes, que c’est la critique qui est malaisée cependant que l’art, en ces temps un peu fluides, est décidément la chose la plus facile qui soit, il reste de bon ton de dénigrer ce qui devrait être considéré comme un apostolat. Jacques le pratique à ravir.

Il m’est arrivé, je le confesse, de lui trouver parfois une assez forte propension à l’indulgence. D’autant que cette tendance naturelle n’était de sa part ni détachement, ni dédain, ce qui aurait pu, en ces temps un peu âpres, la rendre acceptable. Lire la suite


L’otage

L’otage au loin se déclina, bouche en trompe-l’œil,

vision de sabre de qui se sait partir,

Au loin il déchira son nom,

radeau en errance serti de gloires inversées,

Couvant l’espoir d’une brutale conflagration, Lire la suite



Passer de son vivant le cap vers l’autre rive

Joyce Mansour

Jacques De Decker est celui qui, en Belgique et à notre époque, s’est aventuré le plus loin dans le voyage entre les âmes des ancêtres et celles des vivants. Il connaît le passage et le retour. Lire la suite


Mon cher Jacques,

 

Quand je t’ai rencontré, la toute première fois (il y a de cela, quoi ? treize ou quatorze ans ?) tu avais alerté une bonne partie de Montréal pour m’atteindre. Tu m’as ensuite expliqué qu’un bon journaliste trouve toujours ce ou qui il cherche. Et tu es un bon journaliste. Tu as toujours réussi à me trouver et aussi à me surprendre. Lire la suite


Jij leest sneller dan God zelf kan schrijven !

Al was’t met Vestdijk andersom – diens bedrijven

Creëerden staar op’t alziend oog –,

Queruleren Staat niet in je woordenschat.

Uit twistzucht puur je eendracht, je vertoog

En je verhaal zijn in eenvoud vervat ;

Simon, rappe schrijver, Staat schaakmat.

(Door het oog van de naald ben je onlangs gegaan

En, Abraham in‘t zieht, vervolg je nu je levensbaan.)

Dat je met de to ver van je lach

En je verbazende veeltaligheid

Communiceren doet wie dat verdomt :

Kijk, dat vind ik sterker dan gezag,

Ernst en macht. Je loutere goedgunstigheid

Ramt morsige moedwil.‘t Gezwatel verstomt.


pour Jacques De Decker

… et puis la ville, comme un grand vent battant les murs ; hommes debout sur les maisons, attendant l’orage, collés aux façades, hallucinés ou morts, en érection, debout sur les toits et humant les fumées, dans le vacarme montant des rues, parmi les cheminées et les antennes, les capteurs, les épis de faîtages, dominant les cours et les jardins pelés où les petits garçons se montrent le zizi, puis courant et sautant d’une terrasse à l’autre, comme poursuivis, et tombant à travers les tabatières sur les couples endormis enlacés, pétant entre eux, enfin dévalant les étages et se retrouvant dans les voitures au milieu du tintamarre avant de se réfugier dans les caboulots paisibles où les pensées toutes faites s’enroulent dans l’odeur de bière et de tabac froid ; la ville, sans lendemain ni passé, grelottant sur ses bases, sur les débris informes à jamais enfouis, se déplaçant sournoisement de maison en maison, brouillant les pistes de boue, les murs et les pavages flottant dans ce magma, fracassant des fragments de ponts, des tours de garde, des boutiques entières de poterie ; soudain envahie de cendres et de cris, moule abject de la terreur – and I laid here, with my lover – alors que le vent soulève la poussière des siècles, sous l’œil des guides jaloux de ne perdre personne, voire d’agglutiner de nouvelles victimes, futurs rois, futures reines, dames d’atour et malfrats lâchés du haut des donjons ou des planches, des tremplins réservés aux mutins, muscadins et masques, lanceurs d’oranges sèches, ivrognes de circonstance déboulant entre les façades grillagées (comme les tambours pénètrent jusqu’aux tripes), lâchant les chiens, crevant les nuées, piétinant, piétinés, féroces : la ville au petit matin, silencieuse, embrumée, douillette – et puis les chiens encore, les chiens libres et rapides, flairant, laissant, léchant, filant : l’heure des chiens, la ville des chiens, le territoire quadrillé de vent, quelques minutes avant les savonnées, les vapeurs, les remugles. Alors les hommes remontent aux façades, hissés sur les toits, attendant la nuit, les projecteurs et la neige.


Écrit de circonstance s’il en est : le passage du cap du demi-siècle par l’ami qu’on a craint de perdre soudainement, juste avant qu’il y parvienne. Offrande pour une renaissance. Ce ne peut être qu’une parole à laisser monter des profondeurs d’une amitié qui date, elle, d’un quart de siècle. Une parole que la pensée de la mort a brusquement mûrie. Faut-il toujours que les choses de la vie soient exposées au soleil de la mort pour que se révèle la place unique qu’elles ont dans notre existence, pour que leur spécificité trouve en nous licence de se dire, les mots justes où avoir lieu de se partager ? Il est vrai que c’est le trou que fait leur absence dans le tissu de notre imaginaire qui nous les donne à éprouver réelles. C’est non seulement de concevoir la mortalité des êtres, des choses et des liens que nous aimons, mais d’oser lucidement envisager leur mort que nous leur ouvrons les portes de notre vie intérieure, que nous donnons à leur existence la dimension qui lui manque pour nous devenir une présence réelle. Entrer dans l’amitié de la mort nous fait traverser le mur de sa fatalité ; il n’y a qu’elle pour nous initier aux lieux passés et à venir de la seule éternité qui soit : celle de la mémoire. Lire la suite