Tout commence par une fake news. La plus énorme, la plus absurde que le monde ait connue, bien avant l’invention des réseaux sociaux. Quelqu’un a déclaré un jour : On n’a qu’une vie ! Où et quand ? On en perd la trace dans la nuit des temps. Depuis, la rumeur court toujours, malgré les innombrables démentis qui lui furent opposés. Sans doute la licence à laquelle elle invitait – Carpe diem etc. – a-t-elle participé à son étonnante résilience, et pourtant l’Église, les sectes et les hérésies de tous poils se sont mobilisées contre elle avec un slogan simple, irréfutable : Il y a une autre vie. Mais une vie Après. Et qui se vit Ailleurs : dans des régions aussi lointaines que les Indes. Je veux parler de la géographie douteuse du Paradis et du Purgatoire, qui fut longtemps un mystère avant que des cartes ne les localisent enfin. Au xiiie siècle, précisément, juste avant la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Pour l’enfer, c’était plus clair. Au centre de la terre. Mais pour l’atteindre, il fallait s’enfoncer dans des cercles redoutables. De quoi décourager les plus endurcis. En fait, les hommes, les mécréants en particulier, n’étaient pas tous tentés par ces voyages hasardeux et certains se repliaient sur des solutions plus concrètes. Comme la réincarnation. Ou le fantomât. Ou l’intermittence du spiritisme, qui garantissait des apparitions fugaces mais consolantes. Les salons mondains n’avaient pas le faste du Paradis, mais des âmes indépendantes pouvaient y trouver refuge sans passer par les voies du Seigneur et ses fourches caudines. Car le génie de nos chapelles, est d’avoir fait de la Vie d’Après et de sa destination inconnue, une manne inépuisable. Pour s’y faire convoyer et pour que les portes de l’au-delà s’ouvrent, il fallait le mériter et payer par avance. Si la vie éternelle pour tous ne pouvait être mise en doute (l’Église ne sciait pas la branche sur laquelle elle était assise) la destination finale, qu’elle soit le Paradis, le Purgatoire ou l’Enfer était objet de marchandages sans nom, arrachés parfois sur les lèvres du mourant. Jusqu’à la fin, et même après, le doute planait sur la destination ultime du défunt. Les messes à son intention ou les sacrifices accomplis pour son salut, renforçaient ses chances – mais sans certitude, donc sans stop rule. Il n’y avait d’autre issue que de continuer à prier. Et à payer. L’économie céleste a précédé l’économie de marché. Ne disait-on pas : il a gagné son ciel ? Lire la suite →