Marek Mauvoisin vint appuyer sa longue et haute silhouette à la balustrade de pierre rongée par la pluie et la pollution. Le ciel sur Bruxelles était gris ; du haut du Mont des Arts, sur les lieux de son long règne sur les lettres belges en leurs multiples facettes, Mauvoisin se sentait envahi par une immense lassitude. « Tout ça pour ça », murmura-t-il, en appuyant sur le dernier « ça » comme un lacanien désenchanté. Devant lui, la ville était déserte, comme dévastée. Mauvoisin songea qu’elle était à l’image de la culture qu’il avait si longtemps chérie et servie, dévastée par l’incurie de responsables irresponsables, lesquels n’avaient répondu au dévouement d’une vie – au dévouement ? Au sacrifice ! – tout entière dédiée à cette culture que par l’ingratitude et le mépris. Il avait été commissaire à la culture, directeur du musée des lettres ; aux yeux de ses anciens employeurs, il n’était plus rien. Poète et malade, mais malade surtout de ce qu’il voyait autour de lui… « Ô rage, ô désespoir, ô jeunesse ennemie ! » siffla Mauvoisin entre les dents. Lire la suite


Jacques De Decker s’en est allé. J’aurais pu écrire bien des choses en ces tristes circonstances, évoquer bien des souvenirs. Mais je n’aime guère les oraisons funèbres, et je ne suis pas certaine qu’il aurait aimé cela, lui non plus.

J’ai donc préféré me lancer dans la fantaisie, ce qu’il aurait apprécié, je veux le croire, et composer en son honneur un texte vaguement oulipien construit sur (presque tous) les titres de ses œuvres. J’imagine son sourire narquois à la lecture de ces lignes sans prétention… Lire la suite


Jacques De Decker et Guy Lejeune se sont rencontrés à la RTBF au début des années 1980. Guy réalisait l’émission « Écritures » que Jacques concevait, animait et présentait. Ce fut le début d’une longue amitié.

Je suis très heureuse, d’avoir pu, à l’occasion de cet hommage, prêter à Jacques la rédaction des prémices d’un scénario que j’avais écrit il y a de longues années avec Guy.

Je remercie infiniment Jacques De Decker, qui en connaissait bien davantage que moi sur le sujet, d’avoir fait vagabonder nos personnages dans le parc Josaphat.

À tous. Lire la suite


pour Jacques

 

La nuit touche à sa fin. Le pianiste improvise dans une veine jazz manouche une parade musicale, rythme syncopé de l’amour. Une femme rousse le suit du regard, a reconnu l’homme qui fait danser la nuit, se lever l’aube. Surnommé l’homme-orchestre, Jacques a tant de casquettes, de fonctions, de passions, écrivain, dramaturge, traducteur, journaliste, conférencier, secrétaire de l’Académie, professeur, rédacteur en chef… Elle le savait flâneur, polyglotte, traducteur des faits et des âmes mais elle ignorait sa face cachée, pianiste de bar qui étire ses airs, distille ses notes dans des nuits moites. Sous ses doigts, un fantôme s’agite, celui de sa mère. Les mains de sa mère pianiste pulsent son jeu qui séduit les femmes. Il joue pour son père, le peintre Luc De Decker, pour sa mère, pour son frère Armand, pour George Steiner, Anthony Burgess, André Delvaux, Charles Aznavour, Évariste Galois. La femme rousse note la présence d’une créature mince, aux cheveux noirs, qui prend des notes lorsque la musique repasse par les mêmes chemins, les mêmes motifs.  Lire la suite




La beauté se cache dans les interstices de la vie. Dans les brèches, dans les failles du temps humain. On la déniche parfois dans l’amour, parfois dans le plaisir, parfois dans la nature, parfois dans le rêve. Elle peut surgir d’un simple regard. Lire la suite


Cher Jacques,

Les bons côtés des choses, écrivais-je près d’un mois avant votre départ pour l’autre monde.

C’était en mars. Après le 12 avril, quel texte aurais-je écrit pour « Marginales » ? Maintenant, en ce matin du dernier jour de septembre, me revient le dessin que je réalisai en 2008 pour le thème « Comment va le monde, Môssieur ? ».

Le revoici, parce que j’y vois à présent votre visage.

Un visage serein, passé de l’autre côté.

En un nirvana ? Qui sait. Ce serait alors le bon côté de…

De quoi ? De notre Être ? De notre Vie ? Qui sait…


C’était le printemps. Cette année-là, nous nous étions retrouvés, Jacques et moi, dans la belle ville de Cluj, en Roumanie septentrionale, où la faculté des Lettres nous avait invités l’un et l’autre. Notre amie Rodica, qui y enseignait la littérature française, et Valentin, son mari, nous avaient conviés à dîner et nous passions chez eux une de ces belles soirées où le plaisir d’une conversation animée se mêle à celui d’un excellent repas. Vint le temps de regagner notre hôtel au centre de la ville. « Nous allons vous reconduire », ont déclaré nos hôtes. Jacques a tourné la tête dans ma direction, à l’évidence nous avions la même pensée. Lire la suite