Pour Jacques De Decker

Le texte est irréductible. On ne s’en évade pas. C’est une prison, il n’y a même pas de gardiens que l’on puisse corrompre. Les mots s’imposent une fois pour toutes, ceux-là et pas d’autres, dans un certain ordre qu’on est obligé de trouver et qu’on ne peut plus modifier, on est enfermé dans des phrases qui sont comme les barreaux d’une cage – ou bien c’est un train aux portières verrouillées, qui file à grande vitesse sur des rails inamovibles, je frappe aux fenêtres, je crie, personne ne m’entend, il ne s’arrêtera jamais, je vois défiler les campagnes paisibles où des gens vivent, je traverse des gares, des villes, des montagnes, l’humanité entière est sourde. Je voudrais que quelqu’un essaie de me rejoindre. Je suis protégée par une forteresse, j’ai fermé toutes les portes à double tour puis j’ai jeté les clefs dans les douves, je meurs de détresse et de solitude. Lire la suite




voor Jacques de Decker, die het probleem waarschijnlijk ook kent.

Ik ben nooit erg geobsedeerd geweest door mijn naam, noch door mijn voornaam. Dat is enigszins veranderd sedert ik ben gaan schrijven. En wel om praktische redenen. De naam van een schrijver is immers een hulp bij het vinden van een boek. Voor de lezer die een boek van mij wil, die gaat in de boekhandel eerst zoeken onder de K.… en daarna onder KU… en vindt dan meestal wat hij zoekt. Soms ook niet. Soms staat daar alleen Kundera. « Dit is geen goede boekhandel », zegt de lezer dan. En terecht. Hetzelfde in de bibliotheek: onder KUY… vindt men de sleutel van veel leesgenot. Ik heb mijn naam trouwens zo veranderd van « Dekuyper » – in één woord – naar « de Kuyper » – in twee woorden en met kleine D om de bibliotheken en de boekhandelaren het leven te vergemakkelijken. En dus ook de lieve lezer. Lire la suite


Il ne passe pas de jour où je n’aie envie d’écrire à Jacques ou de lui téléphoner. Mais je le sais très occupé, englouti dans le courrier, ou acculé au répondeur. Jacques est donc le destinataire à la fois le plus naturel et le plus malaisé que je connaisse. En outre, je sens que même si ma lettre ou mon message arrivait, il me resterait mille choses encore à lui écrire ou à lui dire… Lire la suite


À Jacques, le septentrional, cette litanie commencée voici longtemps, continuée pour lui dans la pensée de ses séjours au littoral belge, en reconnaissance de tout ce que sa générosité et son intelligence nous donnent avec prodigalité.

Devant la seule mer

pour miroir et pour charme

le miroitant désert

où la vague proclame

la parole océane

Devant le songe ouvert Lire la suite


« Jacques, on vieillit autour de toi. Que dirais-tu de vieillir autour de nous ? Tu as encore tant à nous apprendre. »

Ma mémoire fuit. « L’âge… » est-il écrit dans le visage de ceux à qui j’en parle, n’osant avancer ce qu’ils enterrent sous d’innombrables théories (mon cerveau serait un disque dur d’ordinateur en cours de délestage sélectif). J’ajoute que je ne dors pas. Ça les rassure, ils établissent le lien entre mon insomnie et mon amnésie. On se quitte en se serrant la main, en se faisant la bise. Pendant ce temps-là, je ne dors pas. Et je vieillis. Lire la suite




T’en souviens-tu, Jacques ? Tu avais vingt ans : toute la vie devant toi. Tu étais là, en ce lieu où j’avais moi-même été jadis, dans des circonstances pareilles. Un beau jour de juillet, la vieille Faculté, la solennité des proclamations. On se serait cru à la distribution des prix du roman de Daisne, L’Homme au crâne rasé, qu’André Delvaux tournait en ce temps-là et dont nous avions peut-être parlé au cours. Isabelle, irrésistible, portait une robe jaune d’or et tu t’empressais autour d’elle. On s’embrassait, on riait, on s’exclamait, nos angoisses oubliées pour un moment. Puis commença la cérémonie : l’appel des noms, la pluie des grades. Vous étiez une classe hors du commun. Lire la suite