Hémisphère Nord, dans sa conception initiale, devait s’achever par un épilogue faisant le point actuel sur l’œuvre d’Ulrich et sur sa personne. Il y était révélé qu’il était atteint de la maladie de Friedreich, quasi-anagramme du peintre qui me servit de modèle évident et me fournit le cadre de son époque. Ce mal réel, purement fictionnel dans le cas de mon héros, influence gravement sa création, occasionne l’analyse (coupable) qu’en fait Haedrich et détermine la folie décrite dans la dernière partie. Le manuscrit ayant été accepté avec enthousiasme par Denis Roche, je coupai de bon gré, à sa demande, en moins de huit jours, quelque 170 pages du manuscrit originel qui en comptait 570 (sur 400 publiées). L’épilogue passa à l’as après concertation avec Denis, ce dont témoigne la note ci-jointe, et est publié ici in extenso, tel que je l’avais écrit, et tel qu’en fin de compte, hormis par l’auteur et l’éditeur, il n’a jamais été lu. Lire la suite


« Bonne et eurose année ! »

La formule commence à être éculée, mais elle lui plaît. Et puis, en dehors de l’entreprise, on n’a pas encore pris l’habitude de saluer de manière si fine et financière l’année 1999. « Bon an neuf, neuf, neuf », lui a répondu sa crémière. Moins original, pour sûr. Ou peut-être fallait-il comprendre… « n’œuf » ? Chacun voit le calembour dans son bourg. Lire la suite


L’avion flotte dans le brouillard, quelques secousses font frissonner la glace dans les whiskies de secours, l’hôtesse sourit comme si nous étions des enfants malades, le steward s’accroche à son chariot et je me dis que décidément il faudra dormir un peu pour ne pas sentir toute cette ivresse envahir lentement les travées où seuls les bébés semblent prendre les trous d’air comme un cadeau du commandant qui leur aurait, rien que pour eux, préparé un voyage disneyen. Ça monte et ça retombe comme sur la grande roue de la Foire du Midi, quand Bruxelles, à la fin de l’été, joue dans les odeurs de caricoles et de frites la fête d’une innocence qui semblerait oublier le prix qu’il faut payer pour échapper quelques minutes à l’inquiétude du monde. Bruxelles caracole dans des nuages de parfums gras, les filles roulent des hanches et tendent le buste pour mieux défiler entre les baraques foraines où les bonimenteurs vantent leur charme d’un air de connivence que les hommes semblent accepter en serrant un peu plus fort la main de leur belle qui se fait saluer à coups de fusils à plombs et de ballons crevés. Des rires et des éclats de voix accordent la musique des petits bonheurs à ces instants de malentendu qui deviendront en un hiver le meilleur souvenir d’une saison. La fête piétine mais les jeunes filles passent et repassent comme si le chemin d’un éventuel amour devait passer aussi par là… Lire la suite


On devait être en 1999 lorsque mon grand-père a pris sa retraite. À l’époque, je venais d’avoir douze ans et je me souviens qu’en famille, un dimanche midi, dans un beau restaurant près du Bois de la Cambre, nous avons fêté l’événement qui, en somme, si l’on force un peu, aura coïncidé avec mon entrée au lycée où lui-même avait terminé ses études secondaires tout au début des années 50. Il était très fier de moi, cette école me conviendrait à merveille, l’établissement demeurait de qualité, j’allais m’y épanouir et je puis prétendre à présent qu’il n’a pas eu tort. Lire la suite


Nostalgiques d’une verticalité que le temps avait peu à peu coulée en immanence, une poignée de dieux de l’Olympe rêva à la restauration des lois de la nécessité, à l’imposition d’une forme dissolvant à tout jamais le sombre fond, afin de se sacrer Pygmalion d’un devenir quantitatif de soi. En un banquet sans Diotime, palabres et conciliabules portèrent sur l’invention des formes inédites que pourrait revêtir la lutte à mort entre puissances rivales. Lire la suite



Tu étais parti depuis longtemps dans un pays lointain et tu es aujourd’hui de retour chez toi, là où tu es né, là où tu as vécu tes premières amours et où se sont forgées tes premières illusions. Tu viens de descendre dans la vieille ville et tu ne reconnais plus rien. Tu te guides avec tes souvenirs, avec ta pauvre mémoire. Tu te souviens qu’à l’angle de cette galerie tu dégustais des glaces au chocolat et qu’un jour une fille t’a heurté et que ton cornet est allé s’écraser sur ta belle chemise Lacoste noire, juste en dessous du crocodile. Tu avais l’air malin. Tu étais prêt à gueuler mais tu t’es retenu car la fille était toute confuse et elle avait un merveilleux visage d’ange. Jusqu’à cet instant de ton histoire à toi, tu n’avais encore jamais vu d’ange et voilà que tu en avais un sous les yeux, en chair et en os. Tu as senti ton cœur qui battait dans ta poitrine. Tu as eu conscience d’être terriblement con avec ce chocolat dégoulinant sur ta chemise, ton cornet de biscuit brisé dans la main. Si tu avais été un ange, toi aussi, ou un diable, tu aurais transformé sur-le-champ ce cornet en bouquet de fleurs. Tu es resté penaud. Tu n’as rien dit à la fille, elle ne t’a rien dit, elle non plus, et tu l’as toujours regretté. C’était le destin qui passait et tu n’as pas osé croire à ta chance. Tiens, ta chance, précisément, est-ce que tu y as jamais cru ? Lire la suite


Lors de l’inauguration du parc d’attractions, la plupart des Commissaires parvinrent à éviter les journalistes qui les attendaient, tant à l’entrée qu’à la sortie du chapiteau dressé pour la circonstance. Les autres poussèrent leur ire à l’encontre de cette corporation jusqu’à s’abstenir de baisser la vitre de leur véhicule en passant et en repassant devant la meute, et à refuser de répondre aux questions qui fusaient de ses rangs (bien entendu, la plupart des chroniqueurs s’attachèrent ensuite à les présenter comme des personnages arrogants ou fuyants). Il est vrai que, depuis la fausse manœuvre d’une stagiaire et l’exhumation consécutive dans les colonnes honnies d’une note strictement interne stipulant que le principe d’une désinformation n’était, en soi, nullement répréhensible, les rapports entre les deux blocs s’étaient fort dégradés. Les Commissaires, peu habitués à devoir rendre des comptes et encore moins enclins à admettre les investigations trop poussées, allumaient toutes sortes de contre-feux, fût-ce au risque de s’y brûler. La certitude de leur immunité, ou au moins le respect dû à leur fonction étaient si ancrés dans leurs esprits qu’ils décelaient un « complot » s’ils sentaient poindre une critique un peu articulée, même quand les évidences tranchaient contre eux. La polémique en cours sur le parc qu’ils ouvraient officiellement n’avait fait que renforcer cette tendance. Lire la suite



Oranges et citrons, disent les cloches de Saint-Clément, Tu me dois trois farthings, disent les cloches de Saint-Martin, Quand me paieras-tu ? disent les cloches du Vieux Bailey, Quand je serai riche, disent les cloches de Shoreditch.

George Orwell

Crr… crr… crr… crr… Ici Bruxelles… Crr… Crr… Les Européens parlent aux Européens… Crr… crr… crr… Les sanglots longs des violons de l’Europe pleurent dans mon cœur eurotone… Les sanglots longs des violons de l’Europe pleurent dans mon cœur eurotone… Le cresson a étendu ses ramifications… Je répète… Le cresson a étendu ses ramifications… Le parlement a voté la confiance… Crr… crr… Le parlement… crr… crr… confiance… Le marché unique sera florissant… Je répète… Le marché unique sera florissant… Sans Terre n’est pas sans reproche… Je répète… Sans terre n’est pas sans reproche… Crr… Crr… Les ballons se sont envolés… Les ballons se sont envolés… Ici Bruxelles… Crr… Crr… Les Européens parlent aux Européens… Lire la suite