À André Goosse

Ils revenaient d’Arlon où, une fois n’est pas coutume, c’était elle et non lui qui avait donné une conférence. La journée était grise, il tombait une pluie fine qui n’invitait ni à l’arrêt, ni à la promenade. Elle pensa : « Dommage, nous aurions pu faire un crochet par Houffalize… » quand lui, au même instant, avança : « Si nous passions par Houffalize ? » Lire la suite


Qui l’aurait imaginé ? La Wallonie fait recette. Recette de réflexion, et d’imagination. Elle est manifestement emportée dans une dynamique de l’intelligence et de la créativité. Au niveau modeste de cette revue, cela s’est traduit par un trop-plein que nous n’avions pas encore connu. Il nous a fallu repasser les plats, jouer les prolongations. La livraison précédente n’a pas suffi à contenir tous les textes que le thème « Wallonie revue, Wallonie rêvée » avait suscités. Et lorsque l’idée a été lancée que l’on pouvait repartir pour un tour, les contributions ont recommencé à déferler.

Qui l’aurait imaginé ? Si la question se pose, c’est qu’aux yeux de beaucoup, la Wallonie était une affaire classée. Aux pertes plutôt qu’aux profits. La dépression économique qui l’avait fait chuter au rang de région nécessiteuse dans les années soixante semblait devoir déterminer son avenir durant longtemps encore. C’était mal analyser la singularité de son destin. La Wallonie pouvait disposer d’une autre issue que le redressement industriel pur et simple. On pouvait le lire dans un texte fondateur dont on avait plutôt tendance à sourire, le fameux « Tchant dès Walons » de Hiller et Bovy, qui date de 1902. Il contient ces vers, auxquels on n’a peut-être pas attaché suffisamment d’importance : « À prumi rang on l’mète po l’industreye / Et d’vins lès arts, èle rigatile ot’tant », ce qui se traduit en français par : « Au premier rang brille son industrie/ Et dans les arts on l’apprécie autant. » Lire la suite


Avertissement : Oui, je sais, les puristes reprocheront au chroniqueur du jeune règne de l’illustre Adolphe-Bénito quelques majuscules intempestives. Que l’on ne s’y trompe pas cependant : elles sont volontaires, en dépit des règles d’une grammaire désuète. Car rien n’est trop grand ni trop beau pour célébrer la gloire Wallonne (et ceci est un premier exemple de la nouvelle orthographe que le chroniqueur se propose de faire reconnaître par l’Académie Royale de langue et de littérature Wallonne nouvellement sise en la bonne ville d’Eghezee, promue au rang de capitale du nouvel État).

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L’église d’Harlue

L’église qui loge en face

– en face de la maison

que Dieu me prête –

a sur la tête

un chapeau pointu

aux bords larges

coiffant un visage carré

sur des épaules de paysanne.

Elle est vêtue

de briques menues,

se pare de pierres bleues.

Elle est du château venue

et garde un peu de sang bleu.

Son lourd portail de chêne

porte encore la couronne

du seigneur qui la donna.

Et je pense quelquefois

que c’est au Christ en personne

qu’à chaque messe il offre encore

l’église et la couronne

– au Christ, le Roi des rois. Lire la suite


Ma place est dans la file

infinie

des figures anonymes.

 

Nul autre lieu.

Parmi eux.

Singulier.

 

Dételé de tout regard,

entravé par l’invisible lien,

je fuis parmi les miens.

*

Ils n’achèvent rien,

demeurent inachevés.

 

Ils ouvrent les mains.

Leurs mains vides.

 

Ils attendent au bord.

Quelqu’un les appelle

 

que tu ne vois pas.

L’ombre de leur fin

 

sourire en dit long.

Ils sont innocents.

*

La douleur du regard

doit demeurer

intacte cachée

comme le corps blanc

que la mort se réserve.

 

La douleur du regard

appartient

à l’héritage intime

non au partage

et sa déchirure

nous lie

par la distance

exigeante.

 

Ne dévisage le supplicié,

la torsion

de l’âme

à travers le regard égaré,

le vestibule affreux

et la charge inconnue

de ce qui vient

à mourir.

*

Elles traversent

la lumière.

 

Elles éclairent

ce qu’elles cachent.

 

Elles parlent

des vivants.

 

Leur secret disparaît

dès qu’on les voit entières.

 

Elles se taisent

dans les feuilles bruissantes.

 

Elles ont l’intensité

de la brûlure.

 

L’instant les disperse.

La voix les recueille.

 

Elles sont imputrescibles

réfractaires.

*

Le retour m’est interdit.

Les fondations témoignent

de l’inachèvement

de la maison

pour toujours.

Je viderai ma vie

à la cuiller

tel l’archéologue

pioche à coups menus

le corps du temps enseveli.

Le rêve d’un retour en avant

retourne en mon ventre

l’enfant qui pas un instant

ne se tait.

Ni avenir ni passé.

Dans l’épaisseur des jours

je palpe ce rien.

Je suis libre va-et-vient

de la vie à la mort.


Clément arriva sur le tournage en début de soirée, alors que la grande manifestation venait de s’achever. Il faisait encore chaud, une chaleur lumineuse, pleine de senteurs, et dans le ciel qui commençait doucement à pâlir s’élevaient des milliers, des dizaines de milliers de ballons rouges et blancs. Clément avait en poche une lettre recommandée dont il avait accusé réception le matin même et qu’il n’avait pas décachetée. Comme il sortait de sa voiture, il y repensa. L’ennui, se força-t-il à prononcer, c’est que je n’aime pas boire. Lire la suite


Tolia Dorogoï,

Tu ne me connais sans doute pas, mais peu importe. Ton ami A., qui est aussi le mien depuis que j’ai fait sa connaissance en 1968 à l’Université de Moscou, m’a récemment envoyé de Belgique un colis contenant ton dernier livre, ainsi d’ailleurs que le numéro de Marginales consacré à la Wallonie, et même un hebdomadaire belge paru récemment. Quelle respiration de lire tous ces beaux textes surgis de loin dans le vent des collines dominant Moscou. Lire la suite


au nouveau ministre de la Culture

1

Le but ultime de la culture est de vaincre la logique de guerre, donc de favoriser ce qui la combat, de lutter contre ce qui la provoque. Ce qui combat la guerre avant tout s’apparente à l’intelligence ; ce qui la provoque, à l’ignorance.

Veuillez excuser. Monsieur le Ministre, la trivialité de ce préambule. Lire la suite


Wallonie. Comme un aboiement. La première syllabe qui revient sans cesse dans la tête et la voix. Oua-Oua. Ouallonie. Comme un brave chien qui accueille. Ou un méfiant qui aboie. À tout hasard. Parce qu’il en a trop vu. Que le bâton plus que la carotte !

Et que si on lui avait donné la carotte, ce qui arriva, ça l’avait rendu encore plus furieux qu’on puisse le prendre pour un âne. Lire la suite


Au cours d’un voyage récent dans les Pays Baltes, j’ai rencontré un jeune chercheur français, diplômé de Normale Sup. qui faisait une thèse de doctorat sur la langue live. Pas plus que moi, j’imagine, vous ne savez ce qu’est le live. Cette langue, qui n’a aucune tradition écrite, m’a-t-il expliqué, fait partie du groupe linguistique finno-baltique. Il m’a montré sur la carte, hachuré par ses soins, un petit bout de côte lettonne, en Courlande, où elle était parlée. Lire la suite