Paradis, le vendredi 6 juin 2003. 14h45

En dépit d’un emploi du temps chargé, Dieu accueillit en personne ses invités sur le « Nuage Roland-Garros ».

Il les installa dans la Tribune d’honneur du Central Philippe-Chatrier, d’où ils auraient une vue imprenable sur le match qui n’allait plus tarder à débuter. Lire la suite


En ce samedi de juin 2003, ce rectangle de terre battue fut, pour des millions de spectateurs, beau comme une orange. Moins pour la poignée de privilégiés qui avaient trouvé place autour des terrains que pour les innombrables témoins massés devant leur écran. Premier renversement qu’illustre le phénomène : la vision médiatisée, désormais, l’emporte largement sur la vision immédiate. L’œil humain a beau pouvoir balayer du regard, ajuster sa vue, préciser sa visée, il doit baisser les armes devant la captation ubiquitaire de la batterie de caméra orchestrée par une régie suprêmement maîtrisée. La télévision, reconnaissons-le, semble avoir été inventée pour être un prolongement du tennis…

En quoi le court central de Roland-Garros était-il, ce jour-là, particulièrement électrisant ? Pas par son nom, même s’il ne manque pas d’aura, puisque le stade fut baptisé d’après le pilote qui le premier franchit la Méditerranée d’un coup d’aile, et dont Jean Cocteau fut, un temps, le compagnon de voltiges aériennes. Le poète adorait monter avec lui dans ces appareils de fortune qui, comme il disait, « avaient été fabriqués avec de vieux mouchoirs et de vieux porte-plumes ». Mais si l’on devait interroger le public, Roland Garros passerait plutôt, à tort, pour le probable premier tennisman français. Lire la suite


Cela avait commencé avec les balles de tennis. Puis suivirent d’autres sphères.

L’une après l’autre, Justine les voyait s’élever, soudain frappées d’apesanteur. Au quatrième coup de raquette, revers ou droit, c’était recta : la balle quittait sa trajectoire horizontale pour en adopter une verticale, avec lenteur comme pour bien insister sur sa nouvelle attraction. Lire la suite


Cette fois-ci, je vais gagner. Je vois bien qu’il fatigue. Il prend plus de temps pour ramasser ses balles. Il essaie de récupérer. Je vais enfin remporter un match contre lui. Après cinq ans… Comme elle est étrange, cette importance que nous accordons à la possibilité de vaincre dans le jeu. Qu’est-ce que j’ai pu en rêver de cette victoire! Il m’est souvent arrivé de passer à côté. De peu. Ma rage était telle que j’imaginais envoyer une balle d’une force inhabituelle, en plein cœur, qui le terrasserait sur place. De telles pensées m’effrayaient et me donnaient une étrange satisfaction. Mais une main invisible freinait mon bras au moment de frapper. A la façon dont il me regarde aujourd’hui, mélange de hargne, de désespoir et d’incompréhension, je me demande si les mêmes pensées ne l’effleurent pas. Bon, j’ai mieux à faire que de m’arrêter à ces supputations: j’ai la partie en mains, continuons sur ma trajectoire et profitons du moment. Lire la suite


Jankélévitch, Vladimir (1903-1985) : « Apprendre est un leurre, c’est le mot apprendre qui est une métaphore. On n’apprend pas à souffrir (…). Seulement, primo, on s’habitue. Il y a une accoutumance. (…) Et puis deuxièmement, on triche avec la douleur, on la rend supportable. Je ne crois pas qu’il y ait de souffrance qu’on ne puisse apaiser, d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas un apprentissage. (…) Alors a fortiori apprendre à mourir, c’est une absurdité (…). Pour apprendre, quelque chose, il faut déjà l’avoir un peu fait. Donc, pour la douleur, cela aurait peut-être plus de sens. Mais pour la mort, qu’est-ce que vous voulez apprendre ? C’est déjà trop tard (…). Accoutumance, mieux vaudrait dire adaptation. Un homme est adapté à sa souffrance, sa souffrance familière. »[1] Lire la suite


Au jeu du plus malhonnête, ne nous leurrons pas

Au printemps 1973, je faisais une formation de type troisième cycle à « University of California, San Francisco ». Mon plus proche collègue américain (nous approchions tous deux la trentaine) était d’origine bostonienne, coloration politique : démocrate un rien « radical », tonalité mentale : « flower power, make love not war », véhicule : minibus VW années 50 sans pot d’échappement et carrosserie patchwork rouille et tags. Nous sommes vite devenus amis. Il passait toutes ses pauses de midi et beaucoup de ses soirées à suivre les audiences de la commission parlementaire sur l’affaire dite du « Watergate » avec une fascination jubilatoire. Un jour que je l’observais avec amusement boire du petit-lait à la vue de « Tricky Dicky » Nixon qui s’enfonçait progressivement, il me dit : « Tu comprends, c’est comme de voir mon pire ennemi à terre qui se fait piétiner, sans que je doive rien faire ». Lire la suite



I

Je me réveille avec un mal de tête terrible. J’arrive péniblement jusqu’au canapé où je m’affale, une aspirine à la main. J’essaye de me souvenir de la veille mais tout cela est un peu confus.

On s’est fait une petite soirée entre filles, avec ma meilleure amie Sylvie. J’avais amené pas mal de bouteilles, on a assez bien bu et déconné. Je ne me rappelle pas tout.

Je sais qu’à un certain moment, on s’est mises à faire des paris stupides, avec à la clef des gages tous plus infantiles et humiliants les uns que les autres. J’avais l’impression d’avoir encore douze ans.

La sonnerie du téléphone me déchire les oreilles. C’est une erreur, je raccroche. Lire la suite


Mon cher Jacques,

Vous nous invitez, nous autres auteurs marginaux, à dresser sur fond de frivolité estivale le portrait d’une joueuse de tennis. Une « vas-y-que-je-te-lobes », une « tape-balle », une « han-han-le-long-de-ses-lignes », une « raquette-à-deux-mains-parce-que-c’est-joli » ou « à-une-main-parce-que-mon-dieu-c’est-encore-plus-beau », je ne sais plus. Et tout cela avec vos airs charmeurs, votre ton benoît, l’espèce d’embarras feint dont vous vous êtes fait une spécialité et qui n’invite à rien d’autre que de contempler le plissement de vos ridules encadrant la contraction de vos pupilles. Et, au-delà de cette malice, l’intense satisfaction du diablotin que vous êtes un peu moins que vous ne rêvez de l’être. Lire la suite


Après les Croisades, la Vraie Faux
Après la Vraie Faux, la Double Hache
Après la Double Hache, la Paix

Ingmar Bokman

Nous les Russes sommes enclins à croire qu’il n’y a d’icônes que nôtres et, bien entendu, orthodoxes. Orthodoxes à tout point de vue. Mais nous croyons également que notre vodka est la meilleure, sinon la seule. Pourtant, si mes compatriotes avaient un jour goûté l’eau-de-vie de la réserve personnelle du Patriarche de Belgrade… Lire la suite