À vrai dire, Lacey ne s’était souvenu de l’issue de la rencontre qu’en en revoyant certaines images dans L’Inconnu du Nord-Express. Pourtant, il avait bien remarqué, quand il posait distraitement son regard sur la partie, que l’un des joueurs, montant constamment au filet et prenant des risques insensés, semblait pressé d’en finir, comme si une échéance plus impérieuse l’attendait dès la sortie du court – il avait même, prétendait le film, profité de son élan pour semer les policiers chargés de le surveiller. Mais tout cela n’avait pas particulièrement intrigué le journaliste. Car, entre-temps, Lacey avait eu l’esprit occupé ailleurs : et c’était peu dire qu’il avait, en découvrant le film, observé la relation de cette partie avec une attention redoublée. Hélas pour lui, le réalisateur s’en était tenu à la conduite de son récit et à sa propre construction dramatique, soulignant de la sorte les souveraines prérogatives du narrateur, qui modèle la réalité plutôt qu’il ne se propose de la restituer – et qui, en somme, fournit à cette réalité un démiurge en lieu et place d’un témoin. À cet égard, en considérant le corpus laissé par l’ancien élève des jésuites, Lacey avait toujours goûté la volonté de Hitchcock de s’affranchir (jusqu’à y renoncer quasiment dans ses derniers opus) des récits d’énigmes à l’anglaise (les commodes whodunits) et du sempiternel souci de vraisemblance qui y présidaient, comme pour mieux vérifier l’assertion d’Edgar Poe dans une lettre de 1845 à son ami Philip P. Cook : Il n’y a pas grande ingéniosité à débrouiller une trame que vous avez (vous l’auteur) tissée dans l’intention expresse de la débrouiller. Lire la suite
