Bruxelles se trouve dans tous les atlas, mais pratiquement pas sur les planisphères littéraires. On ne rêve pas de Bruxelles comme de Dublin ou de Vienne, de Lisbonne ou de Stockholm. Il lui manque, pour cela, l’aura que confère à une vile l’imaginaire de ses écrivains. En réalité, ce constat désolé n’est pas entièrement exact.

Plein de textes ont Bruxelles pour théâtre, mais ils n’ont malheureusement pas bénéficié du rayonnement suffisant. Il faudrait se livrer à une véritable archéologie textuelle pour porter au jour les pages que la ville a inspirées. Et pas seulement à des auteurs belges, d’ailleurs. Il y a de magnifiques poèmes de Auden, les considérations désenchantées de Charlotte Brontë, les sarcasmes de Baudelaire. Le goût de l’auto-dénigrement et la capacité de se moquer de soi ont fait des Belges les meilleurs propagandistes de la grande dénonciation de l’auteur des Fleurs du Mal, qui est venu perdre l’esprit en Belgique. Lire la suite


Aux Brux… elloises

Je n’ai plus l’habitude de ce froid piquant, de cet air coupant. Dans le quartier, la vieille façade de la gare et la statue d’un seigneur de l’industrie métallurgique sont les témoins de mes anciennes années passées ici. Il faut que je reconstitue mon puzzle. Je ne suis pas encore arrivé. Je me rapproche peu à peu du personnage que je suis censé être. Je me cherche, je tourne en rond. Je parcours le labyrinthe des rues. Tout a tellement changé ici. Des efforts énormes de rénovation ont été entrepris. Lire la suite



Une semaine après mon retour d’Egypte, ma mère me dit d’un ton fâché: « C’était bien la peine de passer tous ces concours d’État, si difficiles, et d’être classé sixième sur trois cent quarante-cinq, si c’est pour jeter ta lettre de nomination. »  Lire la suite





La gare d’Ath dresse sa masse informe dans la brume. Septembre ressemble à juin : trois mois plus tôt, Flore revenait de Tournai, deux valises au bout des bras. Cette fois, c’est vers Bruxelles qu’elle va filer, pour quelques années d’études. La Haute École accueillera ses dix-huit ans et ses espérances. Lire la suite


On lit un de ces livres dont une ville est le lieu et puis, débarquant un jour pour la première fois, on constate que rien n’a changé depuis qu’on n’y est jamais allé.

Olivier Rolin, Sept villes

Aussitôt achevées les pompes et circonstances de l’enterrement, les membres de l’ancien groupe de Dilly n’avaient eu de cesse de rejoindre, chacun de son côté, le centre de la Ville. Il leur semblait, sans même qu’il fût besoin de se concerter au préalable, que ce déplacement, et les faits et gestes qu’ils accompliraient là, composeraient un plus juste hommage à leur compagnon disparu – en tout cas, une sorte de pèlerinage auquel lui-même aurait souscrit et participé. Les survivants avaient certes écouté patiemment les discours serinés devant le cercueil à la veille d’être brûlé, en se gardant de s’élever pour rectifier une maladresse insigne ou durcir une expression trop convenue. Mais, à présent, cette indulgence n’était plus de mise : ils renvoyèrent leurs proches et déclinèrent l’invitation de la famille à boire la première tasse de café de l’après. En somme, leur tour était venu de disperser les cendres : s’ils ne pouvaient les recueillir et les emporter, ils quitteraient ce cimetière perdu loin au sud et se répandraient dans ces rues et dans ces décors où, ils en étaient conscients, les dernières volontés de leur ami les poussaient et les suivaient. Lire la suite


à Antoine ALAMEDA

Le tram s’arrêtait place Royale. À certains moments – allez savoir pourquoi ! — il grinçait sur les rails comme une locomotive éreintée. L’hiver, au petit matin, les étincelles qu’il éparpillait çà et là conféraient au lieu une autre dimension, presque magique. On eût dit le paysage insolite d’une fonderie ou le repaire inquiétant d’un alchimiste, d’un extravagant ou d’un pyromane. C’était comme un tableau de maître posé là devant moi, quand la neige bouchait méthodiquement les oreilles du monde et que les flocons blancs ensevelissaient dans une torpeur froide les traces de tout passage… Sur sa monture conquérante, Godefroi de Bouillon défiait les pentes du Mont-des-Arts, prêt à fondre sur le petit peuple des moineaux, des canards et des vieux… Oui, l’hiver me surprenait toujours à la plus mauvaise période, au moment même où ma précarité d’être s’accordait avec les larmes du paysage. Cet hiver-là, Monsieur, me faisait remonter la tristesse des choses, et de si loin, que le rire même des autres me laissait à l’oreille une sorte de brûlure. Et cependant, par mes gestes malhabiles, mes torpeurs et mes silences endémiques, j’étais l’enfant même de l’hiver. Des heures durant, je ne voyais, ou ne voulais voir, que le bal suspendu des petites corolles blanches qui venaient rafraîchir mes doigts, s’infléchissant dans mes paumes ouvertes juste avant de mourir. Le matin surtout, la place Royale devenait le carrefour des vents du nord, hurlant parfois comme un malade pour siffler encore et encore entre les lèvres mortes des marronniers du Parc. Mais vous, Monsieur, savez-vous seulement ce qu’est le vent ? Avez-vous respiré l’haleine du nord ? En ce temps-là, le vent de Bruxelles n’était pas comme les autres ; c’était un vent prisonnier des pierres et des rampes dont la rage de ne pas déferler sur l’étendue roulait indéfiniment dans les rues désertes. Fallait l’entendre gueuler, ce vent-là, c’était ignoble et puissant ! Et cependant, pour moi seul, il composait une sorte de sonate dont je nourrissais la plupart de mes rêves. Face à la saison de toutes les fins, paré pour d’interminables combats de nuit, je regardais en frissonnant la longue langue invisible du froid souffler sur les enseignes, et j’oubliais la rigueur même de la saison. Immobile et fasciné, je sentais couler des larmes chaudes qui finissaient par inonder mon visage, un mélange d’émotion vraie et de tristesse sans nom dont le grand orchestre de l’hiver se faisait le sublime interprète. Lire la suite