Dans une station-service où ils sont tous deux venus ravitailler leur 4×4, deux amis échangent quelques propos. Appelons-les « premier » et « second ».

Premier : Tu ne sais pas quelle tuile me tombe dessus ? J’ai été convoqué pour faire partie d’un bureau de vote un de ces quatre dimanches prochains.

Second : Merde alors ! Ça, c’est vraiment une tuile. Espérons qu’il fera mauvais temps, cela te rendra la chose moins dure. Lire la suite


Déjà le veut noir a chanté et les flamboyants de l’aube sont au rendez-vous

Robert Goffin

Non le chant profond, héritier des cultures anciennes, forgé par les fils du vent. Secret, poignant, incantatoire. Flèche, flamme. En montagne brûlée. En jardins de myrte où murmurent les fontaines.

Non la chanson, écho de la saudade, qui résonne en ville blanche. Dans les quartiers haut perchés. Au coin des rues dallées menant à l’océan. Guitare et voix complices. Respiration du vague à l’âme, de la tristesse du destin.

Non le rythme, les notes bleues. Les gorges solidaires en champs de canne, de coton. Mémoire enfouie d’un continent perdu. D’une terre d’innocence, ignorante des chaînes. Citant pour se dire, se trouver. Cordes. Touches. Étincelles des yeux. Des cuivres. Lire la suite


Dans la Ville Lumière, un fauve efflanqué suit l’ombre de son dos voûté que le soleil de l’après-midi projette sur le trottoir.

Il a quarante-six ans. Il en paraît soixante. Il appartient au genre humain.

Il s’appelle Paul. Lire la suite


À Alberto, René et Rosa Lescay

Je connaissais de réputation le Democrat, l’hôtel mythique des années 30, du Cotton Club, du jazz, du blues… Je savais que Billie Holiday y avait fait quelques mémorables virées. Avec les dollars fournis par le Líder Máximo, j’avais acheté tous les disques d’elle disponibles dans une boutique de ce quartier de Harlem, entre la Septième Avenue et la 15e Rue. Ces disques m’accompagneraient partout, jusqu’à Little Havana. Aux moments les plus cruels de la vie, je me suis passé quelquefois de l’essentiel, mais jamais de la voix de la Lady. Car, s’il y a toute raison d’approuver l’évolution globale du monde, sur la seule question des tendances musicales (peut-être un effet de l’âge), il me fut difficile de m’adapter au disco puis à la techno. Lire la suite


C’est alors qu’il eut la révélation.

Il avait longtemps lait la file dans une cour de récréation où poussaient deux marronniers malingres. Ça l’avait d’abord énervé, puis beaucoup d’émotions étaient remontées.

Il avait présenté sa convocation et sa carte d’identité, puis salué le président du bureau, un notaire, qu’il connaissait par son courrier volumineux. Lire la suite


Des années d’évolution pour en arriver là, pensez donc, entre la pensée caca-pouêt-pouêt déversée à haute dose sur les écrans de télé et le rot bien gras jusqu’à la couenne des fins de repas trop arrosés où les blagues fétides et malsaines se veulent seules pensées et seule subversion, la pensée s’avachit dans ses vieilles charentaises, ces malodorantes charentaises qu’on répugne cependant à porter quand on sort ; elle s’y répand et s’y étire avec le soulagement et la béatitude d’une pensée crapuleuse libérée du carcan de l’exigence. Voici à quoi doit ressembler le visage de cette fameuse « identité nationale », celle qui obsède depuis des années jusqu’à la nausée nos Le Pen, de Villiers, Sarkozy, on sait ce qu’il advint en ce pays lorsque le faciès des citoyens fut sans cesse contrôlé.

France.

Intérim. Lire la suite


Réaliser un désir, c’est accepter d’y jouer son rôle.

Roland Dubillard

Dix-neuf heures. C’est fini, maintenant. Les bureaux sont fermés, il ne reste plus qu’à attendre. On m’a dit que ce ne serait pas long, un gros quart d’heure, pas plus. À ce moment-là, les premiers chiffres tomberont et nos experts feront les comptes, arrondissement par arrondissement, ou même bureau par bureau. Il y a deux écrans géants au mur : le premier transmet l’émission spéciale de la télévision officielle, qui vient de commencer, l’autre s’éclairera dans quelques minutes, pour afficher nos résultats ou les prévisions chiffrées. L’estrade et les micros sont prêts. Lire la suite


Il pleut ou il ne pleut pas… pluit aut non pluit, pluit ergo non pluit… Un sophisme ? En français, il tiendrait d’un accent grave sur la notion de l’alternative, un accent sur le u, qui deviendrait alors un lieu d’ambiguïté. La bonne orthographe permet donc d’échapper au piège du sens, de couper les ailes à une errance de l’esprit. Il aime ou il n’aime pas…

Cette idée s’est imposée lors de sa visite au Centre des Affaires Civiles. Il devait prendre part à une cérémonie et s’était fait déposer devant le bâtiment central. Il pleuvait, la double porte s’ouvre devant lui, une autre double porte s’écarte, la première s’étant fermée sans bruit dans son dos. Lire la suite


Quand la police divulgua les pièces qui allaient mener à l’affaire retentissante que l’on sait, c’est pieu de dire qu’elle n’avait jamais vu cela. Pour faire court, personne n’avait même encore rencontré des documents de cette sorte.

Tout en demeurant d’une grande prudence (due autant aux équilibres à respecter entre les trois branches du pouvoir qu’à une sorte de réticence à exposer publiquement des affaires où une huile était mêlée, le porte-parole du Parquet de Bruxelles n’avait pas opté pour les termes les plus mesurés et les plus neutres possible en fournissant ses premières explications. D’ailleurs, dans ses propos off, il était resté dans la même teneur d’expression, évitant même d’en rajouter, tant le simple exposé des faits suffisait, comme l’entendirent bien ses auditeurs, à faire ressortir les troublantes pratiques et le parfait cynisme du principal protagoniste. Lire la suite


Monsieur le juge,

Je vais tâcher de vous dire ce que je pense de l’affaire Immototal que vous instruisez et dans laquelle est compromis Frank Joris, ce grand homme d’État dont je me targue d’être non seulement le principal conseiller politique, mais aussi, de longue date, l’ami et le confident.

Ce ne sera pas commode, j’en conviens, l’illusion de la réalité étant trop souvent plus forte, plus prégnante, que la réalité elle-même. Lire la suite