Le petit royaume de Lowanie est en émoi.

Le prince héritier Guillaume, fils unique du roi Harold, vient en effet d’annoncer qu’il allait se marier… avec un homme.

Des rumeurs couraient depuis belle lurette sur l’homosexualité du prince : on l’avait souvent vu en compagnie de beaux jeunes hommes. Il se chuchotait aussi qu’il avait refusé les avances de la princesse Valentine, du Luxemark voisin, qui était pourtant la plus jolie fille à marier du Gotha et que bien d’autres princes convoitaient sans succès. On sait pourquoi maintenant. Le roi Harold en avait été tout à fait dépité : il avait tenté de convaincre son fils qu’il s’agissait là d’une union idéale pour redorer le blason du royaume légèrement écorné par les récents scandales suscités par la passion du roi pour la chasse à l’éléphant et ses excès de vitesse au volant de voitures de grand luxe. Mais Guillaume avait tenu bon et maintenu qu’il entendait faire un mariage d’amour. Lire la suite


Tout avait brûlé. L’appartement, les meubles, les livres, les photos, les souvenirs, les raisons de rester. Il était parti. Il avait loué un meublé, faisait ses heures au travail, écoutait la musique du monde se désaccorder. Il venait de quitter l’orchestre, les oreilles vides, le cœur enfin léger, il avait rompu.

Il fallait tenir ses nerfs pour les détendre parfois dans de brèves et laborieuses jouissances et regarder la neige tomber en été sans surprise. Il était devenu un vague salaud à force de se regarder de travers. Il esquivait, mâchait ses frustrations comme une vieille chique et crachait son jus en attendant mieux

Ses amis disparaissaient sans reprendre contact, des femmes traînaient dans sa mémoire et aucune dans son lit. Il avait peu de temps et trop de choses encore à faire. Il regardait la terre comme un endroit familier qu’il oublierait vite. Quelques coins de ciel l’obsédaient. L’océan s’éloignait de lui à chaque nouvelle marée

Il ne se prenait plus pour quoi ni qui que ce soit, un peu de liberté lui avait allégé les épaules et il sentait que son temps commençait à se muer en souvenir. Son médecin lui avait donné sept mois, une éternité. Sept ans, sept jours, sept mois… Ça ne changeait pas grand-chose à l’affaire, l’irrémédiable panne devait arriver alors tant qu’à faire, autant qu’il en connaisse les circonstances. Lire la suite


Lorsqu’elle ouvrit cette encyclopédie en plein ciel (elle avait trente-trois minutes de trajet et donc de lecture entre Mégalo Pékin et New New York) et qu’elle se plongea d’un claquement de doigts neuroniques dans l’histoire critique et comparée des accouchements de l’Époque Industrielle, elle ressentit un trouble dysphorique qu’aucun instrument ne put diagnostiquer.

L’homo sapiens sapiens était un arriéré qui ne se prenait plus pour un chimpanzé, murmura-t-elle. Lire la suite


Vous me demandez pourquoi j’ai fait cela, ou plutôt pourquoi j’ai obligé mon copain Victor à le faire avec moi. D’abord, je vous signale que je n’ai forcé personne. Victor est plus grand et plus gros que moi, et s’il n’avait pas voulu, je ne serais jamais arrivée à le contraindre à quoi que ce soit. Il était tout à fait d’accord, et même plus que ça. Je crois qu’il en avait envie au moins autant que moi et même beaucoup plus, mais pas pour les mêmes raisons. J’aime beaucoup Victor. Si je me marie un jour, ce sera avec lui. Il est gentil, il est beau, il me fait rire et il super-balèze en jeux vidéo. À l’école, il est le meilleur en sciences, il dit qu’il sera un savant quand il sera grand. Lui aussi, il m’aime bien. Une fille sent ces choses-là, croyez-moi. D’ailleurs, s’il ne m’aimait pas, il n’aurait jamais accepté de faire cette expérience avec moi, et je ne comprends pas du tout pourquoi on me pose toutes ces questions, pourquoi ça fait un tel drame. En tout cas, moi j’ai forcé personne. C’était juste une sorte d’expérience scientifique.

Bon, je veux bien tenter de vous expliquer. Mais il faut que je commence par le début, le tout début qui remonte très loin, sinon vous ne comprendrez jamais rien. Lire la suite


L’aube pointait. Une aube claire de plein été, qui envoyait par la vitre entrouverte des nuances de rose orangé portées par la symphonie des oiseaux.

Paul soupira, jeta un coup d’œil au réveille-matin. Il était beaucoup trop tôt pour se lever mais à quoi bon flâner au lit. Il savait qu’il ne dormirait plus, trop énervé à la perspective de la journée.

Pour la centième fois en huit jours, il relut la lettre de sa fille Anne. Quelle lubie la piquait donc pour l’inviter à fêter son anniversaire ? Avec son frère encore bien. Après quinze ans de silence ! D’accord, reconnut-il dans son for intérieur, c’est moi qui ne voulais plus les voir. Avec raison. Est-ce qu’on divorce après dix ans et six ans de mariage ? Jamais compris pourquoi. Des futilités sûrement. Qu’est-ce que j’ai fait au monde pour mériter cela ? Ces deux-là n’ont aucun sens de l’engagement de vie. Si leur pauvre mère avait vécu plus longtemps, elle aurait sûrement pu leur faire entendre raison. Mais bon… Le destin a voulu les choses autrement. Lire la suite


Surtout, ne pas délimiter le territoire improbable de la famille.

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Au fond, il rôde déjà, depuis longtemps, un inconvénient d’être né.

Aujourd’hui, est-il encore temps de faire de la métaphysique de l’existence ou de l’éthique de la procréation tant seront nombreux, pour ce qui reste à venir, les simples, mais graves, inconvénients à survivre. Lire la suite


Les salles d’attente sont des lieux agréables. On n’a rien à y faire sinon museler ses angoisses. Que l’on soit chez le dentiste, le médecin ou l’avocat, la meilleure manière d’y parvenir c’est de laisser divaguer ses pensées.

Le design de ces espaces suspendus entre deux moments n’est pas toujours très réussi. Mais j’aime bien celui-ci. Vieille maison en banlieue parisienne. Long couloir-boyau depuis la porte d’entrée. Volume exigu. Rénovation sommaire mais de goût.

On est loin des salles d’attente-pistes de danse. Si grandes qu’on pourrait y organiser des « fêtes ». Je les ai longtemps fréquentées, dans les cabinets spécialisés en droit de la propriété intellectuelle, lorsque j’avais ma galerie dans le « Marais ». Parquet en bois blanchi. Murs multicolores. Artistes pseudo-contemporains plaqués aux cimaises. Le degré zéro du charme.

On se serait cru dans le loft d’une « loutre », sur l’île de Ré. Ah ! Les « loutres » ! Elles ramènent les poissons d’eau douce parisiens vers le grand large. Elles sont vieilles, poisseuses, rapides. Tu ne peux y échapper. Il faut reconnaître que, malgré leurs chairs flasques, elles savent s’y prendre. C’est loin tout ça ! Lire la suite


Nous produisons selon les lois de l’offre et de la demande. Comme sur tout autre marché. Sans doute est-il recommandé dans notre secteur, plus encore qu’ailleurs, de respecter les exigences du consommateur et d’obéir aux normes de traçabilité. C’est une question d’éthique. On n’imagine plus une entreprise qui ne fasse dépendre son image de marque d’une transparence bien comprise. Mais il ne faut pas faire une distinction dogmatique entre les personnes et les choses. Voyez le taux de croissance des pays émergents. Croyez-vous que, face à une telle concurrence, nous puissions rester compétitifs en étant soumis à des législations archaïques ? Lire la suite


Le 5 septembre 2005 à 4 h 35 du matin, Aurèle et Rose partagèrent leur premier joint sur le parking de la boîte de nuit La Panthère rose, réputée pour son DJ à la techno déjantée. La fumette allait être le début d’une passion digne des plus beaux films d’amour. Ce fut Rose qui d’un coup délicat de sa chaussure à talon aiguille écrasa le mégot encore humide des salives mélangées.

Le 16 novembre 2005, les deux tourtereaux décidèrent tambour battant que les flirts sur les parkings d’autoroute et les petits coups tirés vite fait bien fait dans des toilettes publiques ne comblaient plus leurs attentes. Aurèle voulait davantage, Rose aussi. L’amour a toujours raison. Les cœurs à l’unisson, ils emménagèrent dans une annexe de l’appartement des parents d’Aurèle.

Le 1er janvier 2006, Aurèle et Rose s’enfuirent et se jetèrent dans le premier taxi venu. Ils errèrent dans la nuit menaçante, leurs mains jointes serrées à se rompre, jusqu’à ce que le chauffeur les déposât en un lieu anonyme que nous ne citerons pas pour éviter toute ressemblance avec des faits réels. (Précisons ici que La Panthère rose est un nom d’emprunt.) Excédé par les critiques virulentes de son père à l’égard de l’amour de sa vie, Aurèle avait intimé à Rose l’ordre de plier bagage, alors que lui en faisait tout autant afin d’échapper au flot d’injures homophobes déversé par son paternel. Lire la suite


C’est cela, voyez-vous, qui m’ayant obsédé tant d’années durant, me poursuit aujourd’hui encore : le spectacle attirant, effrayant, hallucinant vraiment de ma nudité très crue. De ce reflet dans le miroir où Ludovic se mire, où je me noie dès que mes yeux s’embuent pour gommer ce sexe masculin qui prolonge mon bas-ventre et que je vois parfois se dresser, pour prendre toute la place dans une image de moi que je préfère, et de loin, ô combien, totalement travestie, rectifiée par mes soins ! Comme quand, adolescent, je me pavanais devant la glace après m’être harnaché d’un soutien-gorge et d’un porte-jarretelles noirs : accessoires maternels que je m’appropriais pour que mon buste pigeonne, ce dont je me rengorgeais, et pour, enfilant des bas nylon qui m’instillaient la chair de poule, que j’imagine ma présence en vitrine, dans toute ma splendeur de fille : à rendre jalouse jusqu’à la plus belle et la plus laide des femmes !

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Le paradoxe étant que des érections grandioses me prenaient par surprise au plus fort du bonheur de me sentir si désirable en lingerie féminine… Lire la suite