Remerciements à Claudia De Decker-Ritter

 

Les moteurs du ferry grondent, le pont arrière va se relever, les dernières voitures embarquent, les retardataires courent essoufflés. Odile est à sa place préférée, sur le premier pont arrière, près du drapeau blanc et bleu. Le pont de métal se relève, les moteurs grondent un peu plus fort, le Ferry vibre, l’eau du port s’agite à grands remous, le bateau s’arrache et dessine sa queue d’écume. Elle voit l’île qui s’éloigne, se trouve une table et une chaise à l’ombre. Chacun s’affaire pour la traversée de 4 heures qui les ramènera au Pirée. Il y a déjà une file devant chaque bar. Odile s’y ajoute, commande son freddo cappuccino, un peu de sucre mais pas trop, « metrio », le barman l’exécute avec soin, comme pour chaque passager. Barrista grec, c’est un art. Déjà les maisons blanches ont fondu dans les collines, l’île n’est plus qu’une lointaine silhouette ocre. Le vaisseau prend la route humide, Odile serre les dents, elle sait qu’elle ne reviendra pas dans l’île avant un an. Lire la suite


The Beatles and the Stones

Sucked the marrow out of bone

Put the V in Vietnam

The Beatles and the Stones

Made it good to be alone

To be alone

Guy Chadwick, House of Love

 

La langue, rapportent les mythologues, est le mets que la matriarche Sarah servit à son époux et leur fils pour les préparer à un simulacre sacrificiel fondateur d’une nation. Quel délicieux symbole ! Au commencement était le Verbe – la langue, la langue maternelle, ce qui rappelle au rédacteur une anecdote récente. Ma maman n’étant pas autorisée à quitter l’hôpital Molière le soir du nouvel an pour cause de Covid, elle m’a raconté dans le détail à travers la grille comment elle aurait accommodé la langue de veau pour le repas rituel : l’étuvée avec le thym, les feuilles de laurier et l’oignon piqué de clous de girofle, le dépeçage au couteau pointu, le retrempage, la nuit de repos et enfin la poêlée lente aux échalotes et au vin rouge. Lire la suite


Sous le dôme babylonien du Palais de Justice de Bruxelles, tous les hommes de loi sont en branle contre Gilgamesh. Le scribe de celui-ci n’aurait–il pas discrédité l’image posthume du patron de l’Académie ? Car le héros de la première épopée de l’humanité souhaitait que revînt à JDD le premier exemplaire d’un scandaleux Axiome de la SphèreLire la suite


Commençons par planter le décor. En homme de théâtre qu’il fut, est et restera, il ne s’y prendrait pas autrement. Un décor en dit plus que mille mots. Sur les personnages, sur l’atmosphère psychologique, sur l’état de tension, sur l’époque… Si vous en éliminez tous les éléments parasites dus à la modernité et à la bruxellisation, les lieux dont il est ici question forment un cadre exceptionnel concentré sur quelques kilomètres carrés. D’abord, le Palais des académies, au rang desquelles celle qui requiert toute son énergie et son enthousiasme ces dernières années : l’Académie Royale de Langue et de Littérature Française de Belgique, l’ARLLFB comme l’aurait lâché un Gaston Lagaffe indigné. Un vaste bâtiment souvent vide, avec un hall large et haut de plafond, soutenu par une colonnade sans prestige, qui pouvait laisser passer les diligences à son origine. Cette entrée en matière peu avenante est compensée par un double escalier monumental, avec ses volées médiane et latérale, qui donne accès à des salles d’apparat d’une autre époque et des bureaux somptueux pour les uns, poussiéreux pour les autres. Le tout semé de bustes de nos gloires littéraires passées. Ces bustes devant lesquels il s’arrête régulièrement lorsqu’il est seul, avec un fin sourire complice. Ils permettent de relativiser bien des ambitions : qui, même chez les érudits, se souvient de ses illustres prédécesseurs, Gustave Vanzype, Charles Bernard, Luc Hommel. Marcel Thiry, Georges Sion, Jean Tordeur laissent quelques traces dans les mémoires lettrées. André Goosse, on s’en souvient par l’intercession de son beau-père, créateur du Bon usage de la langue française, incontournable référence des potaches wallons et bruxellois. L’académie belge a cette particularité par rapport à la française d’élire en son sein philologues et grammairiens. Eh oui, le Belge cultive un complexe d’infériorité au regard du français de Paris dont il tente de se guérir en multipliant les ouvrages de linguistique et de philologie. Lire la suite


Je sais : quand quelqu’un meurt, il se trouve toujours une armée de personnes pour se prétendre son ami. Cette armée qui n’était pas toujours fidèle et sûrement pas toujours disponible pour défendre l’ami disparu, du temps où il vivait et traversait les aspérités du chemin. Lire la suite


La berline royale pénétra au pas dans les jardins du palais des Académies. Un homme en gris claqua la portière arrière et se rendit d’un pas assuré au premier étage, traversa la longue salle du trône, bustes augustes en marbre blanc, pour rejoindre le cabinet du Perpétuel autrefois occupé par le prince héritier du Royaume Uni des Pays-Bas. Lire la suite


Personne, dit-on, n’est irremplaçable. Mais il y a des exceptions qui confirment la règle et Jacques en fait partie. Il y aurait, il y a tant à dire, et tant d’amis le feront mieux que moi. Je m’en tiendrai donc, ici, à une petite histoire, une anecdote vécue que, dans son extrême modestie et son extrême activité sur tous les fronts de la littérature, Jacques avait sans doute oubliée. Lire la suite



An 2050. La belle génération que voici ! Vivace, révoltée au-delà de toutes déceptions. Sourde aux promesses éculées, opposant la sève aux tisanes. Sans la moindre pitié pour les conformismes. Acclamant le délitement de la société de l’émotion. Foin de l’instantanéité, du viscéral, des geignements suivis de la plus déroutante passivité.

Place à la raison ! Retour de la réflexion, de la philosophie en son essence, de l’érudition tonique, seul rempart contre la fascination des aventures guerrières terminées en regrets et repentirs. Lire la suite


Pour Jacques, avec affection,

ce texte effronté

en souvenir de l’Esprit Frappeur de l’athénée Fernand Blum.

 

Il le regarde avec effarement.

– Ce n’est pas possible, Armand. Cela n’a pas pu se dérouler ainsi. Elle était si jolie et le Père Peï est un homme sensible et délicat. Il n’a pas pu commettre un acte pareil. Je ne te crois pas. Ne le connaissons-nous pas depuis toujours ? Lire la suite