[Dans un article récent à propos du 11 septembre (Le Monde du 3 novembre), Baudrillard écrit : « Mais la réalité dépasse-t-elle vraiment la fiction ? Si elle semble le faire, c’est qu’elle en a absorbé l’énergie, et qu’elle est elle-même devenue fiction. On pourrait presque dire que la réalité est devenue jalouse de la fiction, que le réel est jaloux de l’image… C’est une sorte de duel entre eux, à qui sera le plus inimaginable »[1]. Absolument pas ! Outre que les destructions des tours du World Trade Center n’ont pas relevé exactement du simulacre, il me semble puéril de traiter en permanence les rapports entre la réalité et la fiction comme une course de vitesse, où chacune n’aurait de cesse d’épater l’autre et de lui en remontrer, quelles que soient les extrémités auxquelles cela peut les conduire. Je ne crois pas, quant à moi, que n’importe quel événement peut se prêter à la fiction, que tout peut être transposé dans une sorte d’adaptation, du reste aussitôt menacée de basculer dans la surenchère. Certains événements me rappellent immanquablement ce précepte de Robert-Louis Stevenson, dans sa correspondance avec Henry James : « Rivaliser avec la vie, alors que nous ne pouvons regarder le soleil en face, que les passions et les maladies nous usent et nous tuent ; rivaliser avec l’arôme d’un vin, la beauté de l’aube, la brûlure du feu, l’amertume de la mort et de la séparation : voilà, en vérité, les travaux d’un Hercule en habit, armé d’une plume et d’un dictionnaire pour peindre les passions, d’un tube de blanc de plomb pour faire le portrait du soleil.
L’œuvre d’art est une proposition de géométrie, dans laquelle tout est organisé de façon nécessaire, où le récit doit suivre son cap, doit être aussi rigoureusement déterminé que la route d’un navire, en naviguant au plus près de la pensée de l’écrivain. Le roman – qui est une œuvre d’art – existe non par ses ressemblances avec la vie, inévitables et matérielles comme une chaussure est faite de cuir, mais par son incommensurable différence délibérée et significative, constitutive de la méthode et de sens de l’œuvre. » Lire la suite →