C’était le présent, et nous étions sereins.

– Dernière phrase de mon conte Une époque (1993)

dans Les Seins de lune.

 

Au plus vif de la peur

sur le bûcher des innocents

enfer au croisement

d’incompatibles pouvoirs,

des cris d’amour sur G.S.M. ! Lire la suite



C’est une histoire terrible. Une histoire de feu, de foudre et de courroux du Ciel. Une histoire de punition et de vengeance. Une histoire de Bien et de Mal. D’élus de Dieu et d’infidèles. De sainte foi et de barbares. Une histoire de juste cause et de martyre.

Cela se passe dans une tour,
à Nicomédie, aux alentours du troisième siècle (1). Lire la suite


Nous ne regardons plus le ciel de la même façon. Le ciel, par-dessus les toits. Qu’un avion le sillonne, il nous semble un engin de mort possible, qui choisir, délibérément, criminellement, de choir sur la ville. Si une bâtisse se hisse par-dessus les autres, nous ne la voyons plus comme un défi à l’altitude, nous ne la percevons plus comme une tentative de gratter le ciel, mais comme une cible possible, une stèle immense où un gigantesque projectile peut venir se ficher…

Et « nous », pour une fois, n’est pas une extension abusive du sujet. Ce nous a englobé, en un rien de temps, une immense part d’humanité. D’abord incrédule, puis horrifiée et fascinée, enfin hébétée et affligée. Le 11 septembre, l’histoire s’est donnée en spectacle en cassant la baraque. Elle a pulvérisé les records de recette, elle a joué à bureaux fermés. S’attachant au plus fort concentré d’opérations économiques au monde, elle a, littéralement, arrêté d’innombrables transactions. D’ailleurs, la Bourse de New York, cet organe vital de la planète, s’est, un temps interrompue, comme un cœur qui cesse de battre. Et des bureaux par milliers ont été fermés, mais à tout jamais, quand ils n’ont pas été complètement détruits, jusqu’à la dernière souris. Lire la suite



Longtemps, je me suis couchée de bonne heure. Ma vie était réglée comme du papier à musique. Je redoutais le moindre dérèglement à mes habitudes. Une minute de retard et surgissait en moi une tension qu’avec le temps il m’était devenu de plus en plus difficile de contrôler. J’étais obsédée par mes horaires. Chaque retard se marquait par une accélération cardiaque, une lourdeur dans les doigts, un transit intestinal chamboulé, des moiteurs généralisées. Mon corps devenait le réceptacle de mes vicissitudes. Ce matin plus que jamais, quand il s’est agi de préparer mon matériel, j’ai cru que j’allais exploser de l’intérieur. Le mot m’a fait sourire. Pour moi, la journée avait commencé sous les meilleurs auspices : le soleil était de la partie malgré le début de saison automnale et une lumière d’été indien venait saluer ce qui devait être mon jour de gloire. Ma rigueur, ma maniaquerie même, présente finalement des avantages pour réussir la mission qui m’attend aujourd’hui. Rien ne doit être laissé au hasard. Le moindre détail a son importance et si je venais à oublier, ne fût-ce qu’un élément de mon arsenal, tout serait irrémédiablement foutu. Car l’erreur n’est jamais pardonnée – non, j’exècre ce mot, disons plutôt réparable – en cette matière. Lire la suite


[Dans un article récent à propos du 11 septembre (Le Monde du 3 novembre), Baudrillard écrit : « Mais la réalité dépasse-t-elle vraiment la fiction ? Si elle semble le faire, c’est qu’elle en a absorbé l’énergie, et qu’elle est elle-même devenue fiction. On pourrait presque dire que la réalité est devenue jalouse de la fiction, que le réel est jaloux de l’image… C’est une sorte de duel entre eux, à qui sera le plus inimaginable »[1]. Absolument pas ! Outre que les destructions des tours du World Trade Center n’ont pas relevé exactement du simulacre, il me semble puéril de traiter en permanence les rapports entre la réalité et la fiction comme une course de vitesse, où chacune n’aurait de cesse d’épater l’autre et de lui en remontrer, quelles que soient les extrémités auxquelles cela peut les conduire. Je ne crois pas, quant à moi, que n’importe quel événement peut se prêter à la fiction, que tout peut être transposé dans une sorte d’adaptation, du reste aussitôt menacée de basculer dans la surenchère. Certains événements me rappellent immanquablement ce précepte de Robert-Louis Stevenson, dans sa correspondance avec Henry James : « Rivaliser avec la vie, alors que nous ne pouvons regarder le soleil en face, que les passions et les maladies nous usent et nous tuent ; rivaliser avec l’arôme d’un vin, la beauté de l’aube, la brûlure du feu, l’amertume de la mort et de la séparation : voilà, en vérité, les travaux d’un Hercule en habit, armé d’une plume et d’un dictionnaire pour peindre les passions, d’un tube de blanc de plomb pour faire le portrait du soleil.

L’œuvre d’art est une proposition de géométrie, dans laquelle tout est organisé de façon nécessaire, où le récit doit suivre son cap, doit être aussi rigoureusement déterminé que la route d’un navire, en naviguant au plus près de la pensée de l’écrivain. Le roman – qui est une œuvre d’art – existe non par ses ressemblances avec la vie, inévitables et matérielles comme une chaussure est faite de cuir, mais par son incommensurable différence délibérée et significative, constitutive de la méthode et de sens de l’œuvre. » Lire la suite


Jamais sans doute depuis belle lurette septembre ne fut-il à la fois si frais et si chaud qu’en cette année.

Et l’on glosera longtemps sur l’incident historique qui, monté en neige par une presse coupable, nous a valu un feuilleton de bien mauvais aloi.

Certes, le régime des talibans, qui se recommandent d’Allah en pervertissant son enseignement, est à combattre. Mais en refusant de signer le Protocole de Kyoto, Bush Jr., au nom du sacro-saint Dollar, n’est-il pas l’artificier fou qui bat le briquet sous l’amadou d’une bombe chimique dont les retombées risquent de mettre toute l’humanité en péril ?

En l’occurrence il n’est qu’une certitude : c’est qu’en cette affaire, le lion et le moucheron sont des milliardaires qui se foutent comme de l’an quarante des fourmis que nous sommes.

Et moi, qui n’ai pas le sou, dans mon heureuse campagne, de relire La Fontaine : Lire la suite


Et si les avions du 11 septembre s’étaient écrasés sur les temples de la culture : le MET, le Guggenheim, la bibliothèque du Congrès ? Quelle aurait été la réaction ? WAR ? Question d’école, sans doute… Alors voici, en guise d’hypothétique épitaphe, encore un texte peu connu – ou en tout cas nulle part reproduit, que je sache – d’un autre écrivain, souvent visionnaire aussi : celui de Paul Valéry gravé sur le double fronton du Palais de Chaillot :

 

dans ces murs voués aux merveilles

j’accueille et garde les ouvrages

de la main prodigieuse de l’artiste

égale et rivale de sa pensée

l’une n’est rien sans l’autre

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C’est sa cinquième bière et l’alcool commence à ouvrir son parachute… La pièce est bleue de fumée et il tousse régulièrement en aspirant à pleins poumons la brume froide et âcre qui flotte en nappes devant l’écran de télévision. Allongé sur le tapis, la télécommande à la main, il semble sombrer dans une hébétude molle, la bouche effondrée, un vague sourire aux commissures.

L’image est muette, le journaliste articule le silence, l’œil papillonnant, l’air absent, la main droite sur l’oreillette, la bouche s’ouvre et se ferme au rythme cadencé d’une mastication scrupuleuse, elle broie du vide, l’avale et s’ouvre à nouveau comme un poisson lave-glace qui est le secret d’un aquarium réussi…

Touchée aux cervicales, la tour tressaute puis frissonne en saccades, sa robe frémit de haut en bas, une étrange sueur flambe tout le long de son échine qui se tasse lentement dans un chaos de poussière hollywoodienne. Quelques instants plus tard, la tour jumelle se cabre et s’effondre impeccablement dans les nuages surgis du sol, qui claquent dans le dos des hommes et des femmes épouvantés et criant leur terreur dans les rues encombrées. Lire la suite