C’est l’heure légère d’une petite sieste d’été. Pour m’endormir, je compte, mais je ne compte pas des moutons. J’aime jouer avec les tables de multiplication. Je tombe sur ce qui a toujours été pour moi cette épine de la table de sept qu’est le sept fois neuf, qu’il faut que je reconstitue car l’automatisme ne fonctionne pas. Bien sûr, c’est soixante-trois. Soixante-dix moins sept. Mille huit cent soixante-trois, année de la naissance de ma grand-mère, soixante-dix moins sept, sept ans avant la guerre de soixante-dix, la guerre qui a plané sur ma petite enfance à travers les récits du passage des Prussiens dans son village.
À cette époque, l’époque des récits, nous étions sept à table, ce qui me donnait un grand sentiment de sécurité et de plénitude. Je trouvais cela tout à fait normal, comment dire, plein, complet, et rond, bien que la table fût rectangulaire. Ce n’était pas comme chez les gens du dessus qui étaient quatre, et dont la mère appelait les enfants d’une voix aiguë à l’heure des repas. Pour dénicher cette petite peste de Denise, elle terminait par « Niniiiize ! » en contre-ut criard. Nous, nous étions sept, et ma mère ne nous appelait pas en criant. Sa voix, que je trouvais délicieuse, m’aurait fait de toute façon accourir ventre à terre. Lire la suite →