Une

Ils sont complètement pétés. Elle a bu, il a probablement fumé, en plus. Ils se tournent le dos, je devrais dire ils se tournent les fesses. C’est en tout cas plutôt l’impression que ça donne. Et pourtant ils dansent. Et ils sourient, surtout elle. Lui, il essaie. Il a l’air, au choix, de sortir d’un immeuble en feu, de réchapper de la noyade ou alors de jouir, mais après beaucoup d’efforts. Lire la suite


Non, pas le sept ! Ne me parlez pas du sept ! Il n’amène rien de bon ! Regardez : les septicémies, les sceptres, les ascètes, les sceptiques… Je m’en passe ! Le sept est un chiffre austère, intransigeant, sévère. Comme Septime, d’ailleurs —vous voyez bien que j’ai raison : déjà les Romains le disaient ! Lire la suite


Water

Poolside…

Even the insistent tune of crickets

suddenly silenced.

My wet body on hot bricks,

face down, by the pool,

eyes clouded by warm vapors.

Water from my hair trickles down the neck,

feeds into a puddle

which cools my burning cheek.

Gentle splashes sprinkle

cold tickling drops along my legs.

I knew the movement of leaves above.

Stillness absorbed all sounds.

It felt good having a body then. Lire la suite


Qu’aurait répondu James Ensor, si on l’avait sommé de définir à quelle communauté il appartenait ? Un détail de son Entrée du Christ à Bruxelles orne le dernier recueil de nouvelles d’Yves Wellens, qui de toute évidence est de la famille artistique – non limitative – du maître ostendais. Peut-être se souvient-on d’une évocation de Tintin à Jérusalem, au détour d’une page de Pierre Mertens. Chez le peintre comme chez les deux écrivains, la création s’apparente à une anamorphose dont les apparences du réel belgicain ne sortent pas indemnes.

Dans ce jeu de miroirs qu’est l’art entre le réel et son double, certains jeux de doubles éclairent singulièrement le miroir, non sans quelque ricanement de squelette ensorien. C’est l’art d’Yves Wellens, dans son D’outre-Belgique, de démultiplier les reflets de la mascarade offerte par ce palais des glaces qu’est un pays lui-même dédoublé. Lire la suite


18 avril – James me fait passer un extrait des mémoires de Kurt Vonnegut, l’auteur d’Abattoir 5, qui est mort la semaine dernière. « Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, écrit Vonnegut, nous sommes maintenant craints et haïs partout dans le monde, comme le furent en leur temps les nazis. » Un peu plus loin, il dit encore de manière sarcastique : « Je suis donc un homme sans patrie (without a country), sauf pour les bibliothécaires et un journal de Chicago, In These Times. » Comment oublier que la pax americana c’est encore les 40 assassinés d’hier sur un campus américain et les 200 morts du jour à Bagdad ?

20 avril – Ce soir au mas, dîner familial. Nous avons refait l’histoire de France des dernières années et confronté nos pronostics pour dimanche et pour le 6 mai. Parler de ça avec ses enfants, « Ne tombons pas dans le travers vulgaire qui est de maudire et déshonorer le siècle où l’on vit », s’exclame Hugo dans Napoléon le Petit que je viens de rééditer. Nous nous sommes quittés également persuadés qu’il y a en ce moment une effervescence qui atteste un grand désir de voix au chapitre et de droit à la parole dans un pays que ses frontières ne sauraient isoler du monde. Lire la suite


C’est l’heure légère d’une petite sieste d’été. Pour m’endormir, je compte, mais je ne compte pas des moutons. J’aime jouer avec les tables de multiplication. Je tombe sur ce qui a toujours été pour moi cette épine de la table de sept qu’est le sept fois neuf, qu’il faut que je reconstitue car l’automatisme ne fonctionne pas. Bien sûr, c’est soixante-trois. Soixante-dix moins sept. Mille huit cent soixante-trois, année de la naissance de ma grand-mère, soixante-dix moins sept, sept ans avant la guerre de soixante-dix, la guerre qui a plané sur ma petite enfance à travers les récits du passage des Prussiens dans son village.

À cette époque, l’époque des récits, nous étions sept à table, ce qui me donnait un grand sentiment de sécurité et de plénitude. Je trouvais cela tout à fait normal, comment dire, plein, complet, et rond, bien que la table fût rectangulaire. Ce n’était pas comme chez les gens du dessus qui étaient quatre, et dont la mère appelait les enfants d’une voix aiguë à l’heure des repas. Pour dénicher cette petite peste de Denise, elle terminait par « Niniiiize ! » en contre-ut criard. Nous, nous étions sept, et ma mère ne nous appelait pas en criant. Sa voix, que je trouvais délicieuse, m’aurait fait de toute façon accourir ventre à terre. Lire la suite


Qui ne connaît l’histoire du bûcheron et de la bûcheronne qui abandonnèrent lâchement leurs sept gamins dans la sombre forêt pour n’avoir plus à les nourrir ? Racontée aux petits enfants pour les endormir… cette scandaleuse aventure s’est fortement édulcorée au fil du temps et des récits ; chaque conteuse ou conteur veillant à en retrancher les traits les plus effrayants, elle devint l’ heroic fantasy du cadet de la fratrie, le Petit Poucet, et reçut une fin heureuse et aussi soporifique que la berceuse, dors mon petit ange, dors !

C’est oublier un peu vite que pour être entré dans le royaume des doux songes enfantins, le conte n’en véhicule pas moins son lot de mensonges et que la vraie histoire, elle, n’est pas finie… Lire la suite


30. Je ne sais ce qui m’a poussé à entamer ce journal ce matin. Peut-être l’ennui. Six semaines déjà – pour autant que je veuille accorder la moindre importance au compte des jours – que nous restons inactifs. Et rien ne sert de s’en demander la raison. Notre engagement était exactement soumis à cela : ne pas s’interroger sur les raisons. Sur la raison. C’est même pour cela que j’ai accepté : pour faire l’impasse sur celle-ci, cette roulure. Une longue fatigue a précédé ma rencontre avec Mademoiselle. Une fatigue qui a, j’en ai l’impression, duré toute ma vie jusqu’alors. Et l’a peut-être devancée. Voire engendrée. La fatigue de se poser des questions et surtout celle-ci : de la moindre chose, le pourquoi.

Mon voisin anumérique (il nous est interdit de donner un nombre, encore moins un nom bien sûr, à un anumérique : nous le désignons donc par sa position au moment où l’on parle de lui : « l’en face », « l’au bout » ou « le derrière moi ») dit que notre entrée ici a été une forme de suicide. Dans mon cas, je pense qu’il n’a pas tort. Mais pour les autres ? Quel malheur, impasse ou désespérance les a conduits ici ? Comme il nous est aussi interdit d’échanger nos expériences passées, je ne le saurai jamais. Mais est-ce que je le regrette vraiment ? Je ne pense pas. Être un nouvel être et effacer le passé : c’est ce que j’ai voulu en adoptant cette vie sans réfléchir. On peut donc tout aussi bien dire qu’il s’agit du contraire d’un suicide : une renaissance. Lire la suite