Dix ans que Marginales a repris le large. Elle n’était pas restée longtemps en cale sèche, la revue qu’Albert Ayguesparse avait lancée avec quelques amis, pour aborder l’après-guerre en 1945, l’année de ma naissance. Son interruption chagrinait tout le monde, même si l’on comprenait que le vaillant fondateur ne pouvait pas, tout seul, continuer à la piloter alors que, né avec le siècle, il était peut-être sur le point de lui survivre. Il n’y parvint pas, de justesse. Il me semble alors que la meilleure façon de prolonger son admirable parcours était de remettre « sa » revue à flot. C’était au printemps 98, au lendemain de l’évasion de Dutroux, qui fournit un bon prétexte à inviter les écrivains à reprendre la plume à propos d’un fait-divers particulièrement romanesque.

Depuis, quatre fois par an, la revue s’est égaillée dans les multiples recoins de l’actualité, en vertu de la ligne qu’elle s’était donnée : laisser libre cours à la créativité littéraire. Et cela donna lieu à quelques livraisons qui ne passèrent pas inaperçues. Les thèmes culturels ne furent pas les plus nombreux. On évoqua quelques géants, Shakespeare ou Victor Hugo, Rembrandt ou Mozart, des figures majeures des arts du siècle dernier, comme Duke Ellington ou Alfred Hitchcock, on marque, usage plus original, l’anniversaire de la parution de deux livres capitaux, La psychopathologie de la vie quotidienne et Lolita. On fit quelques incursions dans le domaine sportif, à propos d’une de ces messes planétaires que sont devenues les coupes du monde du ballon rond, ou de la championne wallonne qui fut une des icônes de cette décennie, Justine Hénin. Lire la suite



Pour Lucienne, la journée commençait mal. Elle venait de passer la nuit à pleurer, ce qui n’est pas dans ses habitudes. Marc n’était pas rentré. Depuis qu’il avait une maîtresse, il rentrait tard, mais hier, il n’était pas rentré. D’un coup, tout devenait fragile. Elle avait à peine essuyé ses yeux que Boris vomissait son bol de corn-flakes sur sa blouse, inondant, sur la lancée, le soutien gorge rembourré qu’elle venait de s’acheter pour compenser les effets secondaires du régime, qui, elle l’avait espéré, réveillerait les ardeurs de son homme. Marc aime les femmes plates. Les maigres. Elles peuvent avoir des rides, chanter faux et ne plus se souvenir des tables de multiplication, mais il a besoin de sentir leur crête iliaque lui transpercer le gras pour bander. Et Lucienne aime Marc. Elle est presque à point. Encore un ou deux kilos et elle lui gratte une sérénade sur ses propres côtes. En attendant, elle voulait une transition. Quelque chose, pour s’habituer à ses petits seins de rien du tout. Le temps de rincer son nouveau soutien, de se changer sans prendre la peine d’en remettre un (les anciens sont trop grands, mais de toute façon, il n’y a plus grand-chose à soutenir), Boris avait sa mallette sur le dos. Sans vouloir en remettre une couche sur ce début de journée, il faut signaler que sa voiture n’a pas démarré, que sa mère ne savait pas garder le petit, alors elle l’a mis chez la voisine qui de toute façon avait une gastro, elle aussi. Elle a donc pris le bus, ravie de voir que les événements du matin lui avaient permis d’arrêter de pleurer. C’est en souriant devant la pointeuse, elle n’avait que trois minutes de retard, qu’elle a remarqué que deux boutons manquaient à son tablier. Autant dire qu’après ces dernières heures, cela comptait pour tripette dans ses états d’âme. Lire la suite


Rideau de velours pourpre. Lustre aux cinq cents lumières. Parfums fleuris. Visons. Rubis. Smokings. Du monde. Dans les loges. Les corbeilles. Les baignoires. Au parterre. À l’orchestre. Sur chaque strapontin. Et jusqu’au paradis. Du monde au balcon aussi. Armatures. Dentelles. Machinerie. Feux de la rampe. Push-up et Wonderbra. Ça pigeonne pas mal. On veut se laisser prendre.  Lire la suite


1er janvier 2008 – Vœux présidentiels, d’année en année même rhétorique qui rappelle les compliments qu’on apprenait jadis aux enfants tenus de les faire à leurs parents, le 1er janvier, serment de sagesse, de respect et d’assiduité. Il arrive cependant que des mots ont soudain un ton qui s’écarte du ronronnement habituel. Hier ce fut le souhait d’une « politique de civilisation ». Le président ne s’est pas gêné pour détourner de son sens une formule d’Edgar Morin…

8 janvier – Cinquième volume de la Correspondance de Flaubert que la Pléiade vient d’éditer. Le 29 mai 1876, sa dernière lettre à George Sand se termine par ces mots : « Adieu, chère bon maître. Amitiés aux vôtres. Je vous embrasse bien tendrement. Votre vieux. » George Sand est morte neuf jours plus tard. Au moment où je m’endormais, ce fut avec l’impression que j’avais pris le deuil.

On se demande parfois comment le monde pourrait finir. Pour le savoir, peut-être suffit-il de regarder aux actualités les images de Naples ensevelie, non pas sous les cendres du Vésuve, mais sous les détritus qu’on ne ramasse plus depuis des semaines… Lire la suite




Avant le règne du temps, quand le néant et moi ne faisions qu’un
Parviz KhazraÏ

Je suis Celui qui n’est pas, n’a pas été et ne sera jamais. Parole impossible puisque personne pour la prononcer ! Moyennant quoi, on prête à ce silence tout ce qu’on veut bien lui faire dire. L’introduction, comme en mathématique, de ce « défaut » sert de nombre imaginaire pour résoudre l’équation de la mort et de notre peur de mourir. Il « même », donc je suis, j’ai été, je serai toujours. Toute vérité révélée est une idée reçue : c’est encore le cas aujourd’hui, mais j’ai besoin d’exister ! La Terre infestée d’hommes de Marcel Moreau en confirme plus que jamais l’obsession. Que l’humanité disparaisse comme espèce, née de tant d’autres, reste dur à admettre face aux progrès « formidables » de la technologie… Lire la suite


Parmi les galaxies, la matière noire et les comètes, au fond du ciel à gauche, Môssieur, vous nous situerez aisément : vue d’en haut, notre boule de terre et d’eau est aussi insignifiante qu’une crotte de nez.

Mais si vous vous approchez un peu, vous l’entendrez pétarader.

Là-dessus : misère ! Ça se bouscule, ça se castagne, ça rouspète et ça hurle à pleins poumons ! Ça trime comme troupeau attelé ou ça tue l’ennui et la peur pour tromper la vie, la mort et la métaphysique. Lire la suite


It is myself I have never met, whose face is pasted on the underside of my mind.

Sarah Kane, 4.48 Psychosis

« Quel est l’endroit le plus désespéré au monde ?

— Une rue de Port-au-Prince une soirée d’orage.

— L’endroit le plus mortel ?

— Gaza. D’ennui et de désolation.

— Le plus dangereux alors ? Lire la suite