« Je suis projetée dans une pièce, une chambre peut-être, aux murs capitonnés. Blancs. De larges carrés blancs tapissent les murs. Recouvrent l’espace. Il y a deux personnes déjà. Deux personnages. Il y en a un qui ressemble étrangement à un lapin mais je sais bien que ce n’est pas un lapin, c’est un homme avec une fine moustache à la Clark Gable et des cheveux noirs gominés, il tient une carotte. Il la serre très fort sur son cœur. C’est peut-être pour ça que j’ai pensé à un lapin. L’autre ressemble à une statue romaine, comme on en voit dans les musées, un Michel-Ange peut-être, mais je ne sais pas si Michel-Ange était Romain. Le personnage est de marbre, c’est peut-être pour ça que j’ai pensé à une statue. Je me suis avancée, j’ai voulu communiquer mais aucun des deux n’a répondu. Je n’existais pas. Ils regardaient à travers moi. J’ai compris que c’était une prison, je me suis sentie enfermée, je ne sais pas pour quelle raison. Lire la suite


Vivre comme s’il n’y avait plus aucun lendemain.

Aux descendances, n’accorder que l’usufruit d’une décharge.

*

Qu’une pierre dans l’eau fasse cercles n’oblige pas l’imaginaire.

Observer de la rive et tenter des solutions tant pour le fleuve que pour la terre ferme réclame de la rigueur. Lire la suite


Débrouille land

La nuit est triste, je n’ai pas de contrat ce soir. D’habitude je danse, je danse nue. Ce soir je suis triste. Quand je ne danse pas, je suis triste. Toujours aimé danser. Ne voulaient pas de moi sur les scènes d’Opéra, fini par danser dans les bars…

Me suis fait larguer, supportait pas mon métier, le jaloux. C’est pas si courant stripteaseuse. J’adore me montrer, rien à expliquer. « Clara, tu manges la glace », dit maman. Ma mère est prof, prof de danse. En rythme, dans la tradition ballets russes. Elle n’adore pas ce je fais ma mère, elle vient jamais me voir. Papa non plus, il ne dit rien. Il regarde ses godasses. Pourtant je laisse traîner mes cartes de visite, mes dépliants d’animatrice, enchaînée, le cul en fonction poster, les extensions en dégringolade jusqu’aux reins. Papa regarde le vide, ou son Sacré-Cœur en tilleul. Parfois il grimpe au grenier, je l’entends chanter quelques portées de grégorien, un ou deux airs de Schubert… Lire la suite


Ce samedi soir, le ciel est brumeux et bas. Il fait un temps humide et doux. Les escargots prolifèrent sur la pierre moussue de monstres séculaires aux façades des cathédrales. Tout se fond en une grisaille plus lugubre encore quand elle recouvre les nuits blanches.

Lucien, l’époux de Clotilde, est cloué au pieu par une attaque cruelle de névralgies intercostales. Il craint sa transformation en scarabée bousier et sombre dans un état d’avachissement métapsychique. Lire la suite


Lisa le regarde, il est assez épais. Elle ne l’a pas encore lu. D’ailleurs, elle n’avait pas l’intention de le lire. Ni même le feuilleter. Pas l’acheter. Pour ne pas tomber comme une stupide pomme mûre dans le piège d’un marketing littéraire trop ingénieux. Puis voilà, elle l’a reçu. Fifty Shades of Grey, un porno sado maso édulcoré, mal écrit (là-dessus, tout le monde semble d’accord), un Barbara Cartland de la femme moderne obligée de rêver sa sexualité. Peut-être. Sans doute. À voir ! Mais elle ne tient pas à voir. Lire la suite


Dressant fièrement ses belles oreilles,

Il toisait sa lapine qui repliait les siennes

Sous un humble bonnet.

Songeuse, elle en crochetait

Joliment en son gîte. Tandis qu’au-dehors,

Talonné par le Temps,

Il courait après quelque blanche toison

Aux yeux rouges et ardents

De jeunesse. Lire la suite


La porte s’ouvrit sèchement.

Lentement sa lourde silhouette s’avança vers l’estrade tandis que la classe se levait en silence, mécaniquement, répondant à un réflexe que seul inspirait encore à ses élèves cet homme las à la chevelure blanche tout ébouriffée. Il ressemblait, disaient-ils, au professeur Rath avant qu’il ne succombât aux séductions de Lola Lola.

Ils ne se levaient que pour lui, ancien réflexe atavique effectué en mémoire des traditions d’une école centenaire qui vivait sur sa réputation. Dernier des Mohicans, il en incarnait les valeurs surannées. Lire la suite


Et quoi ! Sous prétexte de crise, je ne devrais pas partir en vacances ? Parce que la banque, et tout le système financier avec elle, a joué à qui perd gagne, je devrais rester enfermé entre mes quatre murs, avec mon balcon pour unique fortune ? Non, Monsieur ! Non, Madame ! À moi les horizons longs, les soleils couchants sur mers de jade, les brises légères à l’ombre des palmiers et le sable fin entre les doigts de pieds. Je n’ai que faire du diktat de l’argent, que faire de la toute-puissance des agences de notation, que faire de l’orthodoxie budgétaire. Je suis un homme de Rousseau, naturel, bon, exempt de perversité, qui n’aspire qu’à vivre en harmonie avec mère nature. Lire la suite


Professeur de géographie à la retraite, Georges n’avais jamais voyagé autrement que dans son atlas. Il savait tout sur le relief et la nature du sol de n’importe quel pays du monde, sa faune et sa flore lui étaient familières, ainsi que ses richesses exploitées et exploitables. Fleuves et affluents formaient sur sa carte du monde des arabesques aux noms évocateurs d’aventures ; ponctuée de villes et griffée par les cordillères et les massifs montagneux, cette carte restait figée dans son esprit, avec ses océans toujours secs et coloriés de bleu. Lire la suite


Comment pourrais-je t’en vouloir à toi ? L’envie ne me manque pas pourtant. Lorsque les souvenirs remontent à la mémoire. Les matins sans lumière. L’odeur mêlée d’essence, de tabac et de parfums qui emplissait l’habitacle de la camionnette et collait au châle sous lequel nous essayions de voler quelques instants de sommeil. C’est toi qui m’emmenais dans ces trajets chaotiques (avant, j’aurais écrit « cahotants ») qui partaient du camp en lisière de la ville et aboutissaient dans les rues commerçantes de la ville voisine. D’arrêt en arrêt, la camionnette se vidait de couples effarés comme nous. Le chauffeur ne disait pas un mot. Chacun savait où aller. Depuis des semaines, nous nous disséminions dans les flaques de lumière néon. Lire la suite