À Eleusis, les mythes qui recelaient le savoir secret du culte étaient présentés aux initiés sous forme de danses rituelles. L’ancienne institution des mystères avait deux principaux degrés d’initiation. L’on révélait dans le premier les mystères de la naissance physique, et dans le second ceux de la naissance et de la vie spirituelles. Le symbolisme du mariage représentait l’union définitive. Mener de front la transformation de soi avec celle de la nature était le principe fondamental de l’initiation rituelle : son but essentiel était la transsubstantiation. Lire la suite


Je les ai vus grandir ces enfants du « Balai citoyen ».

Eux ou leurs frères et sœurs.

J’en ai vu l’un tenter de naître dans une pièce aux murs sales, sous les encouragements de la matrone qui n’avait pour tout instrument qu’un vieux cornet acoustique.

« Aké, aké » : la maman poussait, poussait, poussait… appelé en renfort, pour toute assistance, l’infirmier n’a rien pu faire d’autre que de gronder et stresser davantage la parturiente. Il est retourné à ses fiches de vaccination manuscrites, soigneusement tenues et poussiéreuses.

J’ai vu l’enfant tout juste né, épuisé comme sa maman, et le jeune père resté à l’écart : accoucher est une affaire de femmes. 24 heures plus tard, dans la maternité sans moustiquaires, ou en lambeaux, d’enfant, il n’y avait plus : il n’avait pas survécu, pas réussi son entrée sur la belle planète du « pays émergent ». Lire la suite



Fable numérique

Pour une fois, tous les médias étaient sur la même ligne : Raphaël était le plus beau mec de tous les envoyés spéciaux au Kurdistan. Qu’il soit perché sur la tourelle d’un char, son foulard négligemment enroulé autour de son cou puis croisé haut devant son sourire, ou réfugié dans le coin d’une terrasse d’Erbil buvant son coca light à l’ombre, il ne laissait personne indifférent, puisque, comme le disait Jean Cocteau : les privilèges de la beauté sont immenses, ils influencent même ceux qui ne s’en aperçoivent pas. Mais la plupart des femmes et pas mal d’hommes s’en apercevaient et lâchaient en le voyant : Putain, qu’il est beau ! Lire la suite


C’est comme ça chaque fois. Au moment du repas. Une affaire de langues. Excitées par le sang, l’entrecôte, le faux-filet, le tournedos, le romsteck. Elles s’agitent. Elles trépignent. S’allongent. S’étirent. S’aiguisent. Se taillent en pointe. S’insinuent, onctueuses, serpentines. Se poussent entre les lèvres. Glissent et se caressent, à droite, à gauche, à droite, humides et veloutées, jusqu’aux commissures des bouches.

Ce sont des langues bien vivantes. Elles en font étalage. Bien rouges et bien vivantes. Des langues qui ont le goût de sortir. Le goût de s’échapper. D’ailleurs, elles n’y tiennent plus. Elles saillent. Elles se lancent :

— Douyousiwadaïminedarligne ? Lire la suite


Il y a plus d’un siècle – ou bien de nos jours –, quelque part dans l’empire ottoman, le sultan Mustafa – ou bien le monarque Régis XV, quelque part en Europe – se baigne dans l’étuve d’un hammam impérial quand l’autre se prélasse dans les vapeurs du somptueux sauna de son palais royal. Un messager châtré – l’autre couillu – accourt et se fait introduire auprès de Mustafa, son maître. Il est porteur d’une joyeuse nouvelle : Roxelane, la grande favorite – ou bien Aurore, la maîtresse du souverain occidental – a donné naissance à un fils : Abdullah pour l’un, Athanase pour l’autre. Lire la suite


 

Tard dans l’après-midi, encore excité par son excursion, François rentra chez lui avec ses parents après une journée de kayak. À dix ans, il n’était pas peu fier d’avoir parcouru la longue descente en solo, alors que ses parents avaient préféré un biplace, plus reposant à leurs yeux.

Jamais fatigué, le gamin proposa à son père de poursuivre la journée par une partie de tennis avec sa console Wii Sports.

— Ah non, s’exclama son père. Le sport, cela suffit pour aujourd’hui. Ta maman et moi allons nous reposer un peu. Tu as assez de jeux pour te passer de nous.

Passant à l’acte, ses parents se retirèrent dans leur chambre, laissant le gamin dépité. Lire la suite


Édith s’était laissé convaincre de venir boire un chocolat en terrasse place Brugman.

Exquis, ce chocolat. Elle s’en était même commandé une seconde tasse, en attendant Véronique, très en retard, comme à son habitude. Elle lisait un Figaro tout chiffonné ramassé sur une table, avait hésité à faire l’acquisition du dernier Goncourt dans la librairie voisine, craignant de déséquilibrer son maigre budget.

Elle parcourait les titres d’un œil narquois : les éternelles polémiques autour de l’expulsion des Roms, l’exil volontaire des juifs français vers Israël, les foyers de tension au Moyen Orient, en Ukraine, le président de la République éreinté par les sondages. Le chômage, le désenchantement, la déprime des familles. Elle avait mal à sa France. Elle replia le journal. Lire la suite


Nous sommes en 1957. La télé n’avait pas encore fait son entrée dans toutes les maisons. Au cinéma, nombre de films étaient « enfants non admis ». Il fallait avoir dix-huit ans pour être considéré adulte. Dans l’histoire qui suit, Stéphane a quatorze ans, Charlotte treize. Ils diffèrent de treize mois et quinze jours. Souvent, on les prend pour des jumeaux.

Jeune mariée, Maman ne connaissait pas la pilule. Lire la suite


Non, écoutez. Les jérémiades des ONG, de l’opinion internationale, les pressions démocratiques… nous n’en avons rien à foutre. Ça remue simplement les émotions à fleur de peau des téléspectateurs de CNN ou des télés locales. Ce qui est bon : qu’on parle de nous. Qu’on sache que nous existons. Que ça rappelle ce que nous exigeons. Revendiquons. Et non, non, non ça ne salit pas notre démarche. Taisez-vous. C’est quoi une image ? Hein ? c’est un morceau visuel du réel tiré de son contexte. Rien d’autre sauf qu’elle passe. On la voit. On la regarde. On reçoit un coup au cœur ou à l’estomac. On l’a oubliée après deux bouchées de pain avalées. Parfois même, on se dit qu’elle a été traficotée par l’informatique et compagnie. Puis, ensuite, on la classe l’image. Dans une banque de données, une réserve de musée de la photographie. Hop, terminé ! Bien sûr, on la ressortira peut-être pour une expo thématique, pour illustrer un manuel scolaire ou un bouquin d’histoire. Basta. Rien d’autre. Lire la suite