Vous me demandez, cher et vénéré ordonnateur, de parler de l’odyssée de l’espèce, au seuil de ce nouvel âge. J’ai la certitude que vous ne vous adressez pas à moi par hasard. Vous savez sans nul doute que je suis une sommité en cette matière très délicate et que tout le monde ne cesse de me consulter, eu égard à mes innombrables travaux qui m’ont valu depuis des décennies la gloire, la considération et, je ne le nie pas, la fortune. Je viens d’ailleurs d’apprendre, de source Scandinave sûre, qu’on est sur le point de m’attribuer le prochain Nobel. Le prix manque effectivement à mon copieux palmarès, moi qui ai déjà reçu le Gandhi, l’Érasme, le Charles-Quint, l’Einstein, le Bolivar, le Lincoln, le Laurel et Hardy, l’Allais et le Simenon ainsi qu’une foule d’autres distinctions moins universelles, moi qui suis docteur honoris causa de quarante-sept universités à travers les cinq continents, moi dont le nom figure désormais en bonne place dans tous les dictionnaires et toutes les encyclopédies, moi qui ai été l’ami très intime de Nabokov, de Burgess et de Kubrick et qui aurais pu être celui, tout aussi intime, de Schnitzler et d’Orwell s’ils avaient vécu un âge canonique ou si, de mon côté, j’étais né beaucoup plus tôt. Lire la suite