La nuit m’avait surpris. Elle mêlait son encre au brouillard qui me collait depuis Londres où l’on m’avait envoyé en reportage. Je ne devais pas être loin de Stratford, mais j’avais perdu ma route. On aurait dit que les panneaux de signalisation devenaient en plus en plus imprécis. En désespoir de cause, pour demander mon chemin, je suis entré dans une auberge. Quelques clients, des bribes de musique, beaucoup de fumée, des conversations feutrées, un comptoir garni de grandes pompes à bière en porcelaine, des odeurs de lard et de chou. Je me suis laissé tenter. Je me suis fait servir à manger. Quant à la route pour Stratford, on m’a rassuré. Le vent allait se lever. Demain, le temps s’éclaircirait. Ce serait une belle journée froide et lumineuse. Je n’aurais pas de peine à m’orienter. En une petite demi-heure, je serais à destination. J’ai attaqué le plat qu’on venait de me servir. La faim rend tolérant. Je l’ai trouvé bon. C’est alors que j’ai remarqué un grand gaillard, assez beau, style aristo dans la dèche, bottes d’équitation avachies et veston de tweed élimé, qui, au comptoir, draguait la serveuse. De temps en temps, il me dévisageait. À peine a-t-il vu que mon assiette était vide qu’il s’est attablé devant moi, à califourchon sur la chaise :
— Les soirées de brouillard sont particulièrement longues ici, surtout quand on est seul. Si nous jouions aux cartes ? Vous m’offrez une bière et je vous tiens compagnie. Lire la suite →