J’ai cru longtemps que c’était la planète Mars, et que j’étais un Terrien. La distorsion de ma vie tenait à cet exil. Monstre des plaines, largué au milieu d’un peuple d’oiseaux. Leur plumage, leur tête ronde, leur piaillement joyeux ne m’étaient pas antipathiques. Mais je ne comprenais rien aux mœurs qui les régissaient. Plus encore que leur sexualité étrange et leur nidification, ce sont leurs cris et leurs jeux qui me donnaient une impression de folie.

Puis je suis devenu assez stoïque pour m’avouer en face qu’il n’y avait qu’une seule planète et que c’était la mienne. Entre-temps j’avais enfin quitté l’Institut Saint-Nicolas, où le culte du football l’emportait sur celui du saint tutélaire : le 6 décembre n’était même pas férié, mais bien le 1er mars, date où un ancien élève de l’institut, nommé Paul Van Himst, avait été sacré meilleur joueur national. Ma vie n’a pas été absolument dépourvue de malheurs depuis que je ne suis plus tenu de jouer au football trois fois par semaine : c’est-à-dire depuis trente ans. Mais il me semble n’avoir plus été confronté depuis lors à l’exercice direct de la Terreur. Lire la suite



Le récent tournoi n’a pas permis qu’éclate le talent hors norme de Garastu, dont le pays lui-même fait du reste partie intégrante d’un continent manifestement sous-représenté, dans cette sphère d’activités comme dans bien d’autres. Son équipe était au rendez-vous, cependant : mais elle a disparu prématurément, laissant la place, là aussi, aux « grands de ce monde ». Lire la suite


Il est assis devant la télé, comme chaque soir. Et comme chaque soir aussi, il risque d’y avoir du grabuge.

Vanessa, dans le coin-cuisine, remue de la vaisselle en soupirant. Elle en a tellement marre, de tout ce sport ! Cela fait combien de temps qu’on ne peut plus regarder le moindre téléfilm ou le plus petit feuilleton ? Il y a eu le tennis, et maintenant c’est le Mondial. Quand les Belges ont joué, passe encore, elle pouvait comprendre. Mais depuis qu’ils ont été éliminés, quel intérêt, je vous le demande ? Lire la suite


Quand j’avais six ans, j’ai été champion du monde. C’était en juillet 1998, en Belgique. J’y croyais encore à l’époque, même si je fus parfois bien surpris par la véhémence des propos tenus par mes parents sur l’avenir de notre pays. Je jouais au football avec mon père et il me fallut attendre encore plusieurs mois pour comprendre qu’il me laissait gagner. Nous disposions de quelques mètres carrés d’herbe verte qui souffrait sous les galopades acharnées de mes crampons tout neufs, les premiers de ma vie footballistique. Lire la suite


Que me veulent-ils ? Pourquoi ces coups de pieds, ces coups de têtes ? Je fends une atmosphère chargée d’émotions lourdes, échoue dans un filet, le creuse, mais contrairement aux planètes d’Einstein reposant dans les hamacs de l’Espace, je dégringole, roule sur le gazon. Aussitôt ressaisi, encore tiraillé entre le dépit des uns et le triomphe des autres, je vole à nouveau, pare les chocs en rentrant en moi-même. Replié autour de mon noyau, il me faut concentrer ma force centripète, l’opposer à celle des jambes musclées. Ainsi, je « supporte », non pas l’une ou l’autre équipe, mais leurs brutalités conjuguées. J’envie les autres boules, celles de cristal, par exemple, enfermant l’avenir. Moi, je ne suis qu’objet. Opaque moyen pour atteindre le « but ». Lire la suite



On a inventé un jeu. Jim est arrivé avec des cartons de bière qu’on trouve dans les cafés. J’ai dit il en faut cent quatre-vingt-neuf. Le troisième jour il est revenu avec plus de deux cents, ça nous fera une belle réserve. On a écrit les noms des coureurs du Tour de France avec pour chacun le numéro, l’équipe et le pays. J’ai tout mis dans le sachet Aldi et on a fait le règlement. Maman est rentrée. Elle a dit Alice tu es marraine. C’est un petit garçon. On l’appelle Zizou. Lire la suite


« De la boue ! Te voilà encore redevenu de la boue ! Te v’ià souillé jusqu’aux fesses, imbibé de cette putain de terre qui nous englue les godasses, qui nous rentre dans la gorge, cette saloperie de gadoue qui nous enchaîne ici ! Te v’ià redevenu de la boue, mon fils, rien qu’un tas de merde qui rêve de soleil, de fortune et de gloire, mais t’es rien que de la merde, l’oublie jamais ! »

Quand la mère parle, elle sait y faire, rien que de l’image juste, franche, directe, au nom de son amour qu’elle dit, faut tout oser, franchir les portes mal éclairées, faut tout avouer, même le pire, et le pire, c’est moi. Lire la suite