On doit pouvoir s’épanouir à tout envoyer enfin en l’air.

Noir Désir

À l’heure où je vous parle, j’ai du mal à me souvenir qu’il ait pu faire si chaud. Ce sont les vieux journaux qui me le rappellent.

Ils prétendent toujours qu’ils vont nous acheter le journal mais ils n’en achètent jamais un par personne. Il faut attendre que les quelques exemplaires aient fait le tour et certains prennent leur temps. Alors, on relit les vieux exemplaires, la même planche de bédé avec ce type à l’air exagérément perplexe, coincé dans sa dernière case, à répéter pour l’éternité « Que voulez-vous dire, Monsieur le commissaire ? » Et justement, j’aimerais bien le savoir, ce qu’il voulait dire. Peut-être que le gars d’à côté a déjà reçu la suite ? Je vais demander. Lire la suite


Je le dis haut et fort, mes congénères et moi-même sommes victimes d’une entreprise de dénigrement caractérisée qui, aujourd’hui, a pris des dimensions planétaires.

Sans doute ne nous a-t-on jamais portés aux nues, mais on nous tolérait. Nous étions vus comme un aléa de la vie, quelque chose de l’ordre du coup de dé… oserai-je, mallarméen ?… Un aléa automnal, ni plus ni moins. J’en connais même qui sont allés jusqu’à nous souhaiter, c’est dire… Lire la suite


En plein midi, le soleil joue sur la terrasse.

Une explosion. Un grand silence.

Une femme enceinte se voulait une bombe vivante. Les blessés gémissent et crient. Les morts sont toujours innocents. Le terrorisme n’est-il pas le cancer de la résistance ? « Il fallait se défendre, on ne pouvait admettre le grignotement des lieux dans lesquels on vit », disait-elle. Lire la suite


Celle-qui-observe pense l’été est terminé, ouf ! ouf ! ouf ! avant de plonger dans la piscine de l’hôtel, enfin, « plonger » est un bien grand mot si on considère qu’en réalité, elle y entre par la petite profondeur, en frémissant de trouver l’eau si fraîche, et en poussant des soupirs au fur et à mesure qu’elle immerge son corps, j’ai toujours dit que l’été était une saison dangereuse !, elle vient de parler à voix haute, quel bilan, non ?, elle ne s’adresse à personne, sinon au monde entier, cela lui arrive de temps en temps de parler à voix haute quand elle est seule, dans sa chambre, sous la douche, dans sa voiture, ou en promenade, parfois des gens la croisent et lui jettent un regard soupçonneux, ils pensent qu’ils viennent de croiser une folle, cela la fait rire, elle a envie de les interpeller, de leur dire que les apparences sont trompeuses, que la folie se love plutôt dans la violence du monde, dans ce qu’elle appelle le vent de la guerre, un repli sur soi, une méfiance hostile envers ceux qu’on ne connaît pas, par exemple, ici, en Provence, Lire la suite


Dans le flot des nouvelles de l’été, s’insinuant dans les esprits pourtant soumis à rude épreuve à la fois par les effets de la canicule et par le réchauffé de beaucoup d’entre elles, ce qu’il est convenu de désigner sous le vocable de « l’affaire Kelly » a véritablement jeté un coup de froid, comme si les projecteurs, soudain braqués tout fumants sur des zones d’ombre et des recoins à l’opacité savamment modulée, ne pouvaient que se pétrifier devant le côté glacé de la mise à nu de certains mécanismes. Avant d’entamer le récit proprement dit, il nous faudra cependant rappeler exactement de quoi il s’est agi. En effet, une sorte de loi voudrait qu’une affaire, quelles que soient par ailleurs son importance et sa signification, se perde vite dans les mémoires, d’autant plus oublieuses qu’elles sont davantage sollicitées et donc encombrées : non que son impact en tant que tel se serait estompé (ce qui, en l’occurrence, jetterait le doute sur son caractère présumé crucial), mais tout simplement parce que, on le sait bien, elle a été recouverte depuis lors par d’autres couches de faits, d’informations ou d’événements. Mais c’est justement le genre d’« affaire » où il faut entrer dans quelques détails. Pour ne pas s’y perdre, il s’avère donc nécessaire de présenter un exposé relié des faits, en une continuité logique, en une suite cohérente, pour au moins remettre les esprits à niveau ; et aussi, bien sûr, parce que le récit qui suit tourne autour de ces faits. Ce préambule n’est donc nullement un essai ou un éditorial, mais une nécessité impérative, dans un univers où les esprits les mieux exercés se découragent parfois, et désespèrent, de retrouver encore, pour la présenter sous le jour qui convient, l’unité de ces faits – et donc celle aussi de la réalité qui les produit. Ce que Daniel Schneidermann, quand il était encore un homme du Monde[1], exposait ainsi, dans une chronique du 26 juillet 2003 : Le plus fascinant, dans cette affaire, est l’horizon qu’elle découvre sur une pratique cynique de la diversion médiatique. Lorsqu’un pouvoir est aux abois, comment desserrer l’étreinte de la presse ? En ouvrant précipitamment un autre front. En lui offrant une affaire dans l’affaire, un feuilleton dans le feuilleton. Elle s’y précipitera à tout coup. Comment éviter que la presse ne martèle la question : « Blair a-t-il menti ? » En lui offrant une question-leurre : « Qui est la taupe ? » Et voilà comment Campbell[2] se retrouva (peut-être) pris à ses propres manœuvres, devenant lui-même la cible d’une affaire dans l’affaire dans l’affaire : « Qui a livré le nom de Kelly ? » Lire la suite


Aux enfants de Marie, aux enfants de Bertrand aux enfants de Jacques

Vilnius Vilna Wilno Vilne

A bukh, nokh a bukh

Alors Dovid se penche vers ses petits-enfants et leur dit : « Puisque vous me le demandez, je vais essayer de vous raconter l’ancienne Vilnius juive, notre Vilne. Car cette ville, telle que vous la découvrez aujourd’hui, cache une ville perdue. La nôtre. L’histoire est longue, brillante, cruelle aussi. Mais je vais essayer encore, parce que, comme le dit mon ami Ousmane Aledji, l’histoire, la vraie, ne s’invente pas. Elle se raconte et se raconte encore. Pour qu’un jour, mes chers petits, vous puissiez la recevoir sans plus trembler, sans peur ni angoisse, pour qu’enfin la cicatrice soit non pas visible, mais du moins lisible. Et que vous puissiez aller, sachant votre histoire, vous laisser prendre par la main par vos enfants et vos petits-enfants encore à venir. Inventer votre descendance, au positif. » Lire la suite


Je venais à peine d’achever ma manœuvre sur le parking du Centre commercial de la Cense que le slogan m’a comme sauté au visage.

2 500 euros en une heure.

Je me suis extirpé de ma vieille Nissan Sunny toute cabossée et j’ai marché vers la vitrine sur laquelle ces mots avaient été peints en grosses lettres jaunes. C’était une agence de prêts et de crédits. Elle ne devait pas être installée depuis longtemps car, la dernière fois que j’avais garé ma voiture dans les parages, il y a cinq ou six semaines, l’emplacement était, me semble-t-il, occupé par une laverie automatique. À moins que ce ne fût une boutique de fringues. Ou une crêperie. Ou un snack. Ou même rien… Difficile à dire. Les commerces changeaient tellement à Hannut, d’un mois à l’autre, que j’avais souvent du mal à m’y retrouver… Lire la suite


Depuis combien de temps sommes-nous là ? Assis sur ce banc, à l’ombre d’un platane. Tous les deux, je devrais dire tous les trois car c’est lui qui prend le plus de place, il prend même toute la place. Nous nous taisons. Tôt ou tard l’un de nous se jettera à l’eau, mais le moment n’est pas encore venu.

De l’autre côté de l’allée, une petite fille joue au yo-yo, son frère fait des allers et retours à trottinette, leur mère lit sur un pliant. Revoici le jogger fou. Un instant je le suis des yeux. À chaque tour, son maillot est plus trempé mais, depuis qu’il passe et repasse devant nous, sa trajectoire n’a pas varié d’un millimètre, pas plus que son allure n’a faibli, à croire qu’il court sur des rails. Lire la suite


On frappe, j’ouvre, Schwarzie se tenait derrière la porte, il s’était accroché au dos un bout de ciel lumineux comme on en trouve rarement ici, que faites-vous là, que voulez-vous, Schwarzie ne semble pas m’entendre. Je relance ma question, le coin de ciel bleu me la renvoie, mon propos s’écrase à mes pieds sans que Schwarzie n’ait fait le moindre effort pour paraître humain, pour dire quelque chose d’humain, un simple bonjour Monsieur, je suis Arnold Schwarzie, par exemple. Même si – reconnaissons-le – cette présentation était superflue (je suis parfaitement capable de reconnaître Schwarzie quand je le vois), une pareille entrée en matière m’aurait rassuré, je ne suis pas inquiet, la soirée était formidable, Dominique vient d’appeler pour me le dire. Le dîner, les invités, notre fin de nuit : très bien (impression immédiate de figurer aux quatre étoiles d’un guide des soirées mondaines), Dominique trouve tout formidable. Si, comme moi, elle ouvrait une porte et trouvait Schwarzie devant elle, elle dirait « formidable » (avec la lippe gourmande qu’elle montre dans ces moments-là). Je ne suis pas inquiet, mais une apparition de cette importance soulève des questions, peut-être des objections ! Essayez de vous mettre dans la situation : Schwarzie turgescent, Schwarzie de ciel vêtu, (on perd automatiquement 80 % de chance de comprendre ce que Schwarzie fait là si on n’associe pas le garde-à-vous de Schwarzie et le ciel bleu). Lorsqu’une porte ouverte vous met en présence d’un visiteur inattendu, la surprise est pour vous (surtout si le visiteur s’est fait accompagner d’une portion de ciel bleu), est-ce pour autant une bonne surprise ? Je n’ai plus l’âge de croire que toutes les surprises sont agréables, j’en ai connu de sacrément funestes, et devant une présence inattendue (néanmoins familière comme peut l’être celle de Schwarzie), la première réaction humaine devrait être l’inquiétude, voilà, le mot est lâché ! Lire la suite


« Tu devrais me flanquer une petite trempe, de temps en temps. Tu ne me frappes jamais. Pourquoi tu ne me frappes jamais ? Tu peux, tu sais. Un jour, si tu as envie, tu peux me frapper. Tu peux me flanquer une petite trempe. Pourquoi tu ne me flanquerais pas une petite trempe, de temps en temps ? Tu devrais, tu sais. » Lire la suite